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Carolus magnus). César et Napoléon seuls jouissent d’une gloire aussi universelle que la sienne. De même que dans les langues germaniques, « César » (kaiser) est devenu synonyme d’empereur, de même Charles (carol, kiral, kral) a pris en hongrois et dans les langues slaves la signification de roi. La légende carolingienne est au Moyen Âge l’une des sources les plus abondantes de la littérature en langue vulgaire. C’est d’elle que sort directement le plus ancien poème épique français : la Chanson de Roland. Et elle inspire encore, en pleine Renaissance, le Tasse et Arioste.

À y regarder de près cependant, on aperçoit bientôt que le règne de Charlemagne n’est, à quelque point de vue qu’on l’envisage, que la continuation et comme le prolongement de celui de son père. Aucune originalité n’y apparaît : alliance avec l’Église, lutte contre les païens, les Lombards et les Musulmans, transformations gouvernementales, souci de réveiller les études de leur torpeur, tout cela se rencontre en germe déjà sous Pépin. Comme tous les grands remueurs d’histoire, Charles n’a fait qu’activer l’évolution que les besoins sociaux et politiques imposaient à son temps. Son rôle s’adapte si complètement aux tendances nouvelles de son époque qu’il en paraît être l’instrument et qu’il est bien difficile de distinguer dans son œuvre ce qui lui est personnel et ce qu’elle doit au jeu même des circonstances.

Au moment où il succéda à son père (768), la question religieuse, ou si l’on veut et ce qui revient au même à cette époque, la question ecclésiastique dominait toutes les autres et demandait une solution. Ni l’évangélisation de la Germanie païenne n’était achevée, ni un modus vivendi définitif ne réglait les rapports du roi des Francs avec la papauté toujours menacée par les Lombards. On peut dire que c’est à mener à bien cette double tâche que Charles employa le meilleur de ses forces durant la première partie de son règne.

Au delà du Rhin, un puissant peuple conservait encore, avec son indépendance, la fidélité au vieux culte national : les Saxons, établis entre l’Ems et l’Elbe, depuis les côtes de la Mer du Nord jusqu’aux montagnes du Harz. Seuls de tous les Germains, c’est par mer qu’à l’époque du grand ébranlement des invasions, ils avaient été chercher des terres nouvelles. Durant tout le v{e}} siècle, leurs barques avaient inquiété les côtes de Gaule aussi bien que celles de Bretagne. Il y eût des établissements Saxons, encore reconnaissables aujourd’hui à la forme des noms de lieux, à l’embouchure de la Canche et à celle de la Loire. Mais c’est seulement en Bre-