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tagne que des Saxons et des Angles, peuple du sud du Jutland étroitement apparenté à eux, fondèrent un état de choses durable. Ils refoulèrent la population celtique de l’île dans les districts montagneux de l’ouest, Cornouailles et pays de Galles d’où, se trouvant trop à l’étroit, elle émigra au vie siècle en Armorique, qui prit dès lors le nom de Bretagne, comme la Bretagne elle-même reçut de ses envahisseurs le nom d’Angleterre. Sept petits royaumes anglo-saxons, dont les noms survivent de nos jours dans ceux d’autant de comtés anglais, s’installèrent sur le territoire abandonné par ses anciens habitants. Au reste, ces Saxons insulaires ne conservèrent pas de rapports avec leurs compatriotes du continent. Ils les avaient si bien oubliés qu’à l’époque où, après avoir été évangélisés par Grégoire le Grand, ils entreprirent la conversion des Germains, ce n’est pas vers eux, mais vers la Haute-Allemagne que leurs missionnaires dirigèrent leurs efforts.

Au milieu du viiie siècle, les Saxons continentaux se trouvaient donc n’avoir subi, par une fortune singulière, ni influence romaine, ni influence chrétienne. Pendant que leurs voisins se romanisaient ou se convertissaient, ils restaient purement germains, et durant les longs siècles de leur isolement, leurs institutions primitives comme leur culte national s’étaient développés et affermis. Le royaume franc, auquel ils touchaient, n’était pas en mesure d’exercer sur eux le prestige et l’attraction dont l’Empire romain avait jadis été l’objet de la part des barbares. À côté de lui, ils conservaient leur indépendance à laquelle ils tenaient d’autant plus qu’elle leur permettait, sous prétexte de guerre, d’en piller les provinces limitrophes. Ils étaient attachés à leur religion comme à la marque et à la garantie de cette indépendance.

On peut considérer les campagnes que Charles mena contre eux de 780 à 804, comme les premières guerres de religion de l’Europe. Jusqu’alors le christianisme s’était répandu paisiblement chez les Germains. Aux Saxons il fut imposé par la force. Le peuple fut contraint de recevoir le baptême, et la peine de mort fut décrétée contre tous ceux qui sacrifieraient encore aux « idoles ». Il est certain que cette nouveauté n’est qu’une conséquence du caractère ecclésiastique que venait de recevoir la royauté. Tenant son pouvoir de Dieu, le roi ne pouvait plus tolérer parmi ses sujets des dissidences en matière de culte ou de foi. Refuser le baptême ou, l’ayant reçu, en violer les promesses, c’était en même temps que sortir de la communion de l’Église, se mettre hors la loi ; c’était