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quelques jours auparavant, avait siégé comme juge entre le pape et les grands de la ville, de recevoir la couronne impériale de celui qu’il regardait comme son protégé. En 813, il fit changer, en faveur de son fils Louis, le cérémonial qui l’avait froissé : la couronne fut posée sur l’autel et Louis la plaça lui-même sur sa tête, sans l’intervention du pape. Cette nouveauté, qui disparut dans la suite, ne changeait rien, au surplus, au caractère de l’Empire. Bon gré, mal gré, il restait une création de l’Église, quelque chose d’extérieur et de supérieur au monarque et à la dynastie. C’était à Rome qu’en était l’origine et c’était le pape seul qui en disposait.

Il en disposait, bien entendu, non comme prince de Rome, mais comme successeur et représentant de Saint Pierre. De même qu’il tenait son autorité de l’apôtre, c’est au nom de l’apôtre qu’il conférait le pouvoir impérial. L’une et l’autre découlaient directement de la même source divine, et la mosaïque de Saint Jean de Latran représentant Léon III et Charlemagne agenouillés aux pieds de Saint Pierre et recevant de lui, l’un les clefs, l’autre la bannière, symbolise très exactement la nature de leurs pouvoirs, confondus dans leur origine, distincts dans leur exercice[1].

Mais pour que la pratique corresponde à la théorie, pour que le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel n’empiétent pas l’un sur l’autre, ou plutôt pour que leurs empiétements inévitables n’amènent pas de conflits et n’ébranlent pas le majestueux édifice qui s’appuie sur eux, il faut qu’ils soient associés et, pour ainsi dire, rythmés par la réciprocité d’une confiance intime et absolue. Préposés l’un et l’autre, en effet, celui-ci au gouvernement des âmes, celui-là au gouvernement des corps, qui leur indiquera la limite exacte de leurs compétences ? Il est d’autant plus impossible de la tracer que l’autorité du pape sur la hiérarchie catholique est encore mal définie. L’empereur nomme des évêques, convoque des synodes, légifère en matière de discipline ecclésiastique et d’instruction religieuse. De la part d’un Charlemagne, cela ne soulève aucun inconvénient. Mais après lui ! Comment garantir le pape contre les intentions de ses successeurs ? Et comment, d’autre part, garantir ces successeurs contre les intentions du pape ? Car si la conception impériale introduit l’État dans l’Église, elle introduit l’Église dans l’État. Et qu’arrivera-t-il le jour où le succes-

  1. Dans son titre officiel, Charles se dit Deo coronatus, ce qui correspond tout à fait à la conception que nous cherchons à exposer.