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paganisme, ou le monde ennemi de l’Islam, ou enfin le vieil Empire byzantin, chrétien sans doute, mais d’une orthodoxie bien capricieuse et de plus en plus se groupant autour du patriarche de Constantinople et laissant le pape à l’écart. De plus, le souverain de cette immense monarchie est tout à la fois l’obligé et le protecteur de l’Église. Sa foi est aussi solide que son zèle pour la religion est ardent. Peut-on s’étonner, dans de semblables conditions, que l’idée se soit présentée d’elle-même, aux délibérations de la papauté, de profiter d’un moment si favorable pour reconstituer l’Empire romain, mais un Empire romain dont le chef, couronné par le pape au nom de Dieu, ne devra son pouvoir qu’à l’Église, et n’existera que pour l’aider dans sa mission, un Empire qui, n’ayant pas d’origine laïque, ne devant rien aux hommes, ne formera pas à proprement parler un État, mais se confondra avec la communauté des fidèles dont il sera l’organisation temporelle, dirigée et inspirée par l’autorité spirituelle du successeur de Saint Pierre ? Ainsi, la société chrétienne recevra sa forme définitive. L’autorité du pape et celle de l’empereur, tout en restant distinctes l’une de l’autre, seront pourtant aussi étroitement associées que, dans le corps de l’homme, l’âme l’est à la chair. Le vœu de Saint Augustin sera accompli. La cité terrestre ne sera que la préparation de l’acheminement à la cité céleste. Conception grandiose, mais exclusivement ecclésiastique, dont Charles n’a jamais saisi exactement, semble-t-il, toute la portée et toutes les conséquences. Son génie simple et positif n’a pu comprendre que le rôle qui lui était assigné allait bien au delà de celui d’un simple protecteur du pape et de la religion. Peut-être cependant, s’en est-il douté et, avant de franchir le Rubicon en faveur de l’Église, a-t-il manifesté quelques hésitations et demandé des éclaircissements. Pour y couper court, le pape, sûr de lui, a brusqué les choses.

En l’an 800, dans la basilique du Latran, à la fin de la messe de Noël, Léon III s’approchant du roi des Francs au milieu des acclamations du peuple, lui plaça la couronne sur la tête et, l’ayant salué du nom d’empereur, se prosterna devant lui et l’ « adora » suivant le cérémonial byzantin. Le pas décisif était franchi, l’Empire romain était reconstitué, et il l’était par les mains du successeur de Saint Pierre.

Charles en manifesta quelque humeur. Il dut trouver étrange, lui qui n’était venu à Rome que pour apaiser une révolte et qui,