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laïque. À quelque point de vue que l’on se place, il apparaît évident qu’il ne pouvait y avoir, en dehors de lui, nulle administration écrite. Le besoin de l’État l’imposait ; il devint, et il devait rester durant des siècles, la langue de la politique et des affaires, comme celle de la science.

Il s’en faut de beaucoup d’ailleurs que Charles ait réussi à créer ce fonctionnarisme instruit, latinisé, qu’il eût voulu léguer à ses successeurs. La tâche était trop lourde et trop vaste. Mais il y déploya une bonne volonté et une sincérité touchantes. Lui-même, payant de sa personne, apprit à écrire dans sa vieillesse, et rien peut-être ne fait mieux ressortir l’énergie et la persévérance de ce grand homme, que le passage d’Eginhard nous le montrant occupé à employer, la nuit, ses heures d’insomnie, en traçant des lettres sur une ardoise. À sa cour, une espèce de petite académie, dirigée par Alcuin, formait aux lettres des jeunes gens appartenant aux plus grandes familles de l’Empire et destinés à faire carrière plus tard soit dans l’Église, comme évêques, soit dans l’administration, comme comtes, avoués ou missi. Ses enfants reçurent tous cette instruction grammaticale et rhétorique en laquelle consistait l’enseignement littéraire, et il n’est pas douteux que l’exemple parti de si haut n’ait trouvé dans l’aristocratie bon nombre d’imitateurs[1]. Les quelques laïques, hommes ou femmes qui, sous Louis le Pieux et ses fils, ont écrit, comme Nithard et comme Duodha, des œuvres latines, ou, comme le comte Eberhard de Frioul et le comte Robert de Namur, eurent quelque sympathie pour les lettrés, montrent que tous ces efforts ne furent pas perdus. Au surplus cette tentative d’étendre aux classes supérieures l’enseignement ecclésiastique, née du désir de perfectionner l’organisation de l’Empire, ne devait pas survivre à celle-ci.

Les institutions de l’Église ont inspiré à Charles bien d’autres réformes. Ses capitulaires, rédigés sur le modèle des décisions promulguées par les conciles et les synodes, fourmillent d’essais de réformes, de tentatives d’amélioration, de velléités de perfectionner ou d’innover dans tous les domaines de la vie civile et de l’administration. Il introduisit au tribunal du palais, à la place de la procédure barbare et formaliste du droit germanique, la procédure par enquête qu’il emprunta aux tribunaux ecclésias-

  1. Les filles de Charles le Chauve furent élevées par Hugbald, de l’abbaye de Saint-Amand.