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éclatante de puissance et de génie personnels. Le pouvoir impérial tel que l’a compris le second, n’est que le développement logique et complet de l’idée qui domine le premier dans toute la dernière partie de sa carrière, et le grand empereur a voulu et préparé lui-même l’esprit dans lequel devait régner son faible successeur.

Louis se trouva tout de suite en présence d’une question qui avait été épargnée à son père et qui allait permettre d’éprouver la solidité de l’Empire. Il avait trois fils : Lothaire, Louis (le Germanique) et Pépin. Comment fallait-il régler sa succession ? L’idée du partage égal entre les fils du souverain avait toujours été appliquée depuis l’origine de la monarchie franque. D’autre part, le pouvoir impérial était, par sa nature même, aussi indivisible que le pouvoir du pape. Fallait-il donc considérer l’Empire comme si indissolublement confondu avec l’État que la succession à celui-ci serait régie par le même principe que la succession à celui-là ou bien, distinguant entre l’un et l’autre, procéder au partage de l’État, en réservant à l’un des héritiers l’autorité impériale ? Louis s’arrêta à une mesure qui, sans rompre entièrement avec la coutume du partage, la sacrifiait cependant au principe de l’unité. En 817, il s’associait, comme co-régent de l’Empire, Lothaire, son fils aîné, et le désignait comme son héritier ; toutefois les deux fils cadets recevaient chacun une sorte d’apanage avec le titre de roi ; Pépin, l’Aquitaine, Louis, la Bavière. En agissant ainsi, Louis se prononçait donc contre la vieille conception de la monarchie laïque telle que l’avaient pratiquée les Mérovingiens, et en faveur de la nouvelle conception ecclésiastique de l’Empire, et l’on ne peut guère douter qu’il n’ait pris ces dispositions de commun accord avec le pape. Mais les cadets sacrifiés se considéraient comme victimes d’une injustice et n’attendaient que l’occasion de prendre leur revanche. Elle se présenta sans qu’ils eussent besoin de la faire naître. Veuf, Louis avait épousé pour sa beauté, en 819, Judith, fille du duc des Alamans. De tempérament amoureux et sensuel, comme le furent presque tous les premiers Carolingiens, il tomba bientôt sous la domination de cette femme et quand, en 823, elle l’eût rendu père d’un quatrième fils, Charles (le Chauve), il n’eut pas l’énergie de résister à l’ardeur passionnée de sa femme et de couper court aux intrigues qu’elle mit en œuvre pour assurer à cet enfant la plus grande part possible de l’héritage paternel. Il ne fut pas difficile à Judith de gagner à ses vues Louis (le Germanique) et Pépin et de les exciter contre Lothaire, et il lui fut plus aisé encore de