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Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/98

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restait de Rome à l’abri des pirates qui débarquaient, sans avoir rien à craindre, à l’embouchure du Tibre. Les bouches du Rhône, aussi mal défendues, étaient plus exposées encore. Des postes militaires furent érigés par les Arabes le long de la Corniche où leurs abris subsistent encore. Il n’y eut pas d’ailleurs de tentative d’établissement à l’intérieur. Seule la maîtrise des côtes importait aux nouveaux maîtres de la Méditerranée et comme le commerce chrétien n’existait plus, on ne fit pas d’efforts sérieux pour les en déloger et on leur abandonna les rivages. La population chrétienne se retira plus loin et les débris des villes de la région de Nîmes se remparèrent de leur mieux[1].

Les invasions normandes furent autrement dévastatrices et eurent des résultats d’une portée bien plus considérable. Elles font apparaître tout à coup sur la scène un peuple jusqu’alors tellement inconnu qu’aucun nom n’existait pour le désigner et que, fait de mieux, les habitants des côtes du nord qui furent les premiers en contact avec lui, l’appelèrent du nom de la région même d’où il arrivait : Noord-mannen, Normands. On ne peut expliquer que par des hypothèses, d’ailleurs plausibles, les razzias maritimes des Scandinaves. La condition première en est évidemment le besoin éprouvé par une partie de la population de chercher au dehors les moyens d’existence que le sol ingrat et pauvre de la patrie ne dispensait plus suffisamment au gré d’hommes énergiques et hardis. Que l’on ajoute à cela, coïncidant avec ce malaise économique, des luttes intestines entre les chefs locaux, la fierté de vaincus refusant de se soumettre aux vainqueurs et entraînant avec eux leurs compagnons de guerre, l’espoir d’un retour triomphal après des aventures profitables, et l’on se fera une idée des motifs qui, depuis la fin du viiie siècle, ont poussé à l’envi sur la Mer du Nord, la Baltique, les plaines glauques de l’Atlantique du nord et jusque sur les flots bleus de la Méditerranée, Danois, Norvégiens et Suédois. Ces derniers furent attirés au dehors par un motif qui n’agit pas sur les peuples scandinaves de l’Ouest. Jusqu’à ces froides extrémités du mondes qu’ils habitaient, les deux grands Empires du sud, celui de Byzance et celui des Khalifes, jetaient du fonds des espaces comme un rayonnement d’or. Depuis

  1. En 916, le pape Jean X, avec le roi Bérenger et des secours byzantins, s’emparèrent du camp retranché des Musulmans sur le Garigliano. Depuis lors, l’Italie centrale en fut débarrassée