Page:Pirenne - Les Villes du Moyen Âge, 1927.djvu/113

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naturel de celle-ci. Toute espèce de spéculation leur apparaissait comme un péché. Et cette sévérité n’a point uniquement pour cause la stricte interprétation de la morale chrétienne. Il semble bien qu’il faille l’attribuer aussi aux conditions d’existence de l’Église. Sa subsistance, en effet, dépendait exclusivement de cette organisation domaniale dont on a vu plus haut combien elle était étrangère à l’idée d’entreprise et de bénéfice. Si l’on ajoute à cela l’idéal de pauvreté que le mysticisme clunisien assignait à la ferveur religieuse, on comprendra sans peine l’attitude défiante et hostile par laquelle elle accueillit la renaissance commerciale, qui fut pour elle un objet de scandale et d’inquiétudes[1].

Il faut admettre d’ailleurs que cette attitude ne laissa point d’être bienfaisante. Elle eut certainement pour résultat d’empêcher la passion du gain de s’épancher sans limites ; elle protégea dans une certaine mesure les pauvres contre les riches, les débiteurs contre leurs créanciers. Le fléau des dettes, qui dans l’Antiquité grecque et l’Antiquité romaine s’abattit si lourdement sur le peuple, fut épargné à la société du Moyen Âge, et il est permis de croire que l’Église contribua beaucoup à cet heureux résultat. Le prestige universel dont elle jouissait agit comme un frein moral. S’il ne fut pas assez puissant pour soumettre les marchands à la théorie du juste prix, il le fut assez pour les empêcher de se livrer sans remords à l’esprit de lucre. Beaucoup certainement s’inquiétaient du péril auquel leur genre de vie exposait leur salut

  1. La vie de Saint Guidon d’Anderlecht (Acta Sanctorum, Sept., t. IV, p. 42) parle de l’ignobilis mercatura et appelle un marchand qui conseilla au saint de s’y livrer diaboli minister.