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sociale où le peuple était attaché à la terre et où chacun relevait d’un seigneur, ils présentèrent le spectacle étrange de circuler partout sans pouvoir être réclamés par personne. Ils ne revendiquèrent point la liberté ; elle leur fut octroyée parce qu’il était impossible de prouver qu’ils n’en jouissaient pas. Ils l’acquirent, pour ainsi dire, par l’usage et par prescription. Bref, de même que la civilisation agraire avait fait du paysan un homme dont l’état normal était la servitude, le commerce fit du marchand un homme dont la condition normale fut la liberté. Dès lors, au lieu d’être soumis à la juridiction seigneuriale et domaniale, il ne releva que de la juridiction publique. Seuls furent compétents pour le juger les tribunaux qui maintenaient encore, par-dessus la multitude des cours privées, l’ancienne armature de la constitution judiciaire de l’État franc[1].

L’autorité publique le prit en même temps sous sa protection. Les princes territoriaux qui avaient à protéger dans leurs comtés la paix et l’ordre public, à qui appartenaient la police des routes et la sauvegarde des voyageurs, étendirent leur tutelle sur les marchands. En agissant ainsi, ils ne faisaient que continuer la tradition de l’État dont ils avaient usurpé les pouvoirs. Déjà, dans son Empire agricole, Charlemagne s’était préoccupé de maintenir la liberté de la circulation. Il avait édicté des mesures en faveur des pélerins et des commerçants juifs ou chrétiens, et les capitulaires de ses successeurs attestent qu’ils restèrent fidèles à cette politique. Les empereurs de la Maison de Saxe n’agirent pas

  1. H. Pirenne, L’origine des constitutions urbaines au Moyen Âge (Revue historique, t. LVII [1895], p. 18).