Page:Pirenne - Les Villes du Moyen Âge, 1927.djvu/146

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condition native[1]. Ainsi la plupart des artisans conservait dans la ville, leur servitude originaire. Il y avait, si on peut ainsi dire, incompatibilité entre leur nouvelle condition sociale et leur condition juridique traditionnelle. Bien qu’ayant cessé d’être des paysans, ils ne pouvaient effacer la tâche dont le servage avait marqué la classe rurale. S’ils cherchaient à la dissimuler ils ne manquaient pas d’être rudement rappelés à la réalité. Il suffisait que leur seigneur les revendiquât pour qu’ils fussent obligés de le suivre et de réintégrer le domaine qu’ils avaient fui.

Les marchands eux-mêmes ressentaient indirectement les atteintes de la servitude. Voulaient-ils se marier, la femme qu’ils choisissaient appartenait presque toujours à la classe servile. Seuls les plus riches d’entre eux pouvaient ambitionner l’honneur d’épouser la fille de quelque chevalier dont ils avaient payé les dettes. Pour les autres, leur union avec une serve avait pour conséquence la non-liberté de leurs enfants. La coutume attribuait, en effet, aux enfants le droit de leur mère en vertu de l’adage « partus ventrem sequitur », et l’on comprend l’incohérence qui en résultait pour les familles. La liberté dont le marchand jouissait pour lui-même ne pouvait se transmettre à ses enfants. Le mariage faisait réapparaître la servitude à son

  1. « Servus incognitus non inde extrahatur ; servus vero qui per veridicos homines servus probatus fuerit, tam de christianis quam de agarenis sine aliqua contentione detur domino suo ». Droit de Castrocalbon (1156) dans l’Annuario de historia del derecho español, t. I, p. 375 (Madrid, 1924). Malgré sa date relativement tardive et son origine espagnole, ce texte précise avec une grande netteté la situation qui, au début, a partout été celle des serfs immigrés dans les villes.