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CHAPITRE VIII

L’INFLUENCE DES VILLES SUR LA CIVILISATION EUROPÉENNE

La naissance des villes marque le début d’une ère nouvelle dans l’histoire interne de l’Europe Occidentale. La société n’avait comporté jusqu’alors que deux ordres actifs : le clergé et la noblesse. En prenant place à côté d’eux, la bourgeoisie la complète ou plutôt l’achève. Sa composition désormais ne changera plus jusqu’à la fin de l’Ancien Régime : elle possède tous ses éléments constitutifs, et les modifications par lesquelles elle passera au cours des siècles, ne sont à vrai dire que les combinaisons diverses de leur alliage.

Comme le clergé et comme la noblesse, la bourgeoisie est elle-même un ordre privilégié. Elle forme une classe juridique distincte, et le droit spécial dont elle jouit l’isole de la masse du peuple rural qui continue à former l’immense majorité de la population. Bien plus, nous l’avons déjà dit, elle s’efforce de conserver intacte sa situation exceptionnelle et de s’en réserver exclusivement le bénéfice. La liberté telle qu’elle la conçoit, est un monopole. Rien n’est moins libéral que l’esprit de caste qui fait sa force en attendant qu’il devienne pour elle, à la fin du Moyen Âge, une cause de faiblesse. Pourtant à cette bourgeoisie si exclusive était réservée la mission de répandre autour d’elle la liberté et de devenir, sans l’avoir voulu, l’occasion de l’affranchissement graduel des classes rurales.