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née de son cours et, pour ainsi parler, désaxée par l’invasion musulmane. Sans l’Islam, l’Empire franc n’aurait sans doute jamais existé, et Charlemagne, sans Mahomet, serait inconcevable[1].

Pour se persuader qu’il en fut bien ainsi, il suffit de relever l’opposition que présentent l’une avec l’autre, l’époque mérovingienne, pendant laquelle la Méditerranée conserve sa millénaire importance historique, et l’époque carolingienne, où cette influence cesse de se faire sentir. Partout on observe le même contraste : dans le sentiment religieux, dans la politique, dans la littérature, dans les institutions, dans la langue et jusque dans les caractères de l’écriture. De quelque point de vue qu’on l’examine, la civilisation du ixe siècle atteste une rupture très nette avec la civilisation antérieure. Le coup d’État de Pépin le Bref est bien autre chose que la substitution d’une dynastie à une autre dynastie. Il marque une orientation nouvelle du cours suivi jusqu’alors par l’histoire. Certes, en se parant du titre d’Empereur romain et d’Auguste, Charlemagne a cru renouer la tradition antique. En réalité, il l’a brisée. L’ancien Empire, réduit aux possessions du basileus de Constantinople, devient un Empire Oriental juxtaposé et étranger au nouvel Empire d’Occident. En dépit de son nom, celui-ci n’est romain que dans la mesure où l’Église

  1. On pourrait objecter que Charlemagne a conquis en Italie le royaume des Lombards et en Espagne la région comprise entre les Pyrénées et l’Ebre. Mais ces poussées vers le Sud ne s’expliquent aucunement par le désir de dominer les rivages de la Méditerranée. Les expéditions contre les Lombards ont été provoquées par des causes politiques et surtout par l’alliance avec la papauté. L’occupation de l’Espagne du Nord n’avait d’autre but que d’établir une solide frontière contre les Musulmans.