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à l’idée de profit, ne peut être considérée comme un phénomène naturel et spontané. Ce n’est point volontairement que les grands propriétaires ont renoncé à vendre les produits de leurs terres : c’est parce qu’ils n’ont pas pu faire autrement. Il est certain que si le commerce avait continué de leur fournir régulièrement les moyens d’écouler ces produits au dehors, ils n’eussent point manqué d’en profiter. Ils n’ont pas vendu parce qu’ils ne pouvaient pas vendre, et ils ne pouvaient pas vendre parce que les débouchés leur faisaient défaut. L’organisation domaniale telle qu’elle apparaît à partir du ixe siècle, est donc le résultat des circonstances extérieures, on n’y remarque rien d’une transformation organique. Cela revient à dire qu’elle est un phénomène anormal.

Il est possible de s’en convaincre d’une manière tout à fait frappante en comparant au spectacle que nous fournit l’Europe carolingienne, celui que nous offre à la même époque, la Russie méridionale[1].

On sait que des bandes de Normands Varègues, c’est à dire de Scandinaves originaires de Suède, établirent, au cours du ixe siècle, leur domination sur les Slaves du bassin du Dnieper. Ces conquérants, que les vaincus désignèrent sous le nom de Russes, durent naturellement se grouper pour

  1. Pour ce qui suit, consulter : M. Rostovtzev, Iranians and Greeks in South Russia (Oxford, 1922) et The origin of the Russian State on the Dnieper (Annual Report of the American Historical Association for 1920, p. 163, Washington, 1925) ; V. Thomsen, The relations between ancient Russia and the origin of the Russian State (Oxford, 1877 ; édit. allemande : Der Ursprung des Russischen Staates, Gotha, 1879) ; B. Kloutchevski, Curs Russkoi Istorii, t. I, p. 180 (Moscou, 1916) ; J. M. Kulischer, Istoria Russkoi torgovli, p. 5 (Petrograd, 1923).