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s’approvisionnèrent. Mais il dut en aller autrement lorsque l’Islam dominant sur la Méditerranée et les Normands sur les mers du Nord, la circulation disparut et avec elle la classe marchande et la population municipale. Les domaines subirent le même sort que l’État franc. Comme lui, ils perdirent leurs débouchés. La possibilité de vendre au dehors n’existant plus, faute d’acheteurs, il devint inutile de continuer à produire au delà du minimum indispensable à la subsistance des hommes, propriétaires ou tenanciers, vivant sur le domaine.

À l’économie d’échange se substitua une économie de consommation. Chaque domaine, au lieu de continuer à correspondre avec le dehors, constitua désormais un petit monde à part. Il vécut de lui-même et sur lui-même, dans l’immobilité traditionnelle d’un régime patriarcal. Le ixe siècle est l’âge d’or de ce que l’on a appelé une économie domestique fermée et que l’on appellerait plus exactement une économie sans débouchés[1]. Cette économie, dans laquelle la production ne sert qu’à la consommation du groupe domanial, et qui, par conséquent, est absolument étrangère

  1. Certains auteurs ont cru pouvoir admettre que les produits domaniaux étaient destinés à la vente. Voy. par exemple : F. Keutgen, Aemter und Zünfte, p. 58 (Iena, 1903). Il est incontestable que dans des cas exceptionnels et par exemple en temps de famine, des ventes ont eu lieu. Mais en règle générale, on ne vendait certainement pas. Les textes allégués pour prouver le contraire sont en trop petit nombre et trop ambigus pour pouvoir emporter la conviction. Il est évident que toute l’économie du système domanial du haut Moyen Âge est en opposition flagrante avec l’idée de profit. Il n’y eut de ventes qu’exceptionnellement, lorsque, par exemple, une année particulièrement favorable fournissait aux domaines d’une région un surplus qui attirait vers eux les gens des régions souffrant de disette. C’est là un commerce purement occasionnel tout à fait différent du commerce normal.