Page:Pirenne - Les Villes du Moyen Âge, 1927.djvu/52

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rait inexplicable. Sans doute, les formes suivant lesquelles il s’exerce sont très primitives, mais ce qui importe ce ne sont pas les formes de ce trafic, c’est l’action qu’il a exercée.

Or, on peut dire qu’il a vraiment déterminé chez les Russes du haut Moyen Âge, la constitution de la société. Par un contraste frappant avec ce que l’on constate parmi leurs contemporains de l’Europe carolingienne, non seulement l’importance, mais l’idée même de la propriété foncière leur est inconnue. Leur notion de la richesse ne comprend que les biens meubles, dont les plus précieux sont les esclaves. Ils ne s’intéressent à la terre que dans la mesure où, par la domination qu’ils exercent sur elle, ils peuvent s’en approprier les produits. Et si cette conception est celle d’une classe de guerriers conquérants, on ne peut guère douter qu’elle se soit maintenue si longtemps parce que ces guerriers étaient en même temps des marchands. Ajoutons que la concentration des Russes dans les gorods, motivée au début par nécessité militaire, s’est trouvée, elle aussi, correspondre admirablement à la nécessité commerciale. Une organisation créée par des barbares en vue de maintenir sous le joug des populations conquises, s’est donc adaptée au genre de vie qui devint le leur dès qu’ils furent soumis à l’attirance économique de Byzance et de Bagdad. Leur exemple montre qu’une société ne doit pas nécessairement passer par l’agriculture avant de s’adonner au commerce. Ici, le commerce apparaît comme le phénomène primitif. Et s’il en est ainsi, c’est que, dès le début, les Russes, au lieu de se trouver, comme les habitants de l’Europe occidentale, isolés du monde extérieur, ont été poussés au con-