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Les princes féodaux qui avaient ruiné le pouvoir royal ne touchèrent point à celui de l’Église. Son origine divine la mettait à l’abri de leurs atteintes. Ils craignaient les évêques qui pouvaient lancer sur eux l’arme terrible de l’excommunication. Ils les révéraient comme les gardiens surnaturels de l’ordre et de la justice. Au milieu de l’anarchie du ixe et du xe siècle, l’ascendant de l’Église resta donc intact et elle s’en montra digne. Pour combattre le fléau des guerres privées que la royauté était désormais impuissante à réprimer, les évêques organisèrent dans leurs diocèses l’institution de la paix de Dieu[1].

Cette prééminence des évêques conféra naturellement à leurs résidences, c’est à dire aux anciennes cités romaines, une importance singulière. Elle les sauva de la ruine. Dans l’économie du ixe siècle, elles n’avaient plus, en effet, de raisons d’exister. En cessant d’être des centres commerciaux, elles avaient perdu, à toute évidence, la plus grande partie de leur population. Avec les marchands disparut le caractère urbain qu’elles avaient conservé encore durant l’époque mérovingienne. Pour la société laïque, elles ne présentaient plus la moindre utilité. Autour d’elles, les grands domaines vivaient de leur vie propre. Et l’on ne voit point pour quel motif l’État, constitué lui aussi sur une base purement agricole, se fût intéressé à leur sort. Il est très caractéristique de constater que les palais (palatia) des princes carolingiens ne se rencontrent pas dans les cités. Ils se trouvent sans exception à la campagne, sur les domaines de la dynastie :

  1. Sur cette institution voy. L. Huberti, Studien zur Rechtsgeschichte der Gottesfrieden und Landfrieden (Ansbach, 1892).