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Un contraste économique


Mérovingiens et Carolingiens




Dans un article publié l’année dernière par cette Revue (Mahomet et Charlemagne)[1], j’ai essayé de montrer l’importance essentielle qu’il convient de reconnaître à l’invasion islamique dans le bassin occidental de la Méditerranée. À mon sens, c’est à ce grand événement qu’il faut attribuer la coupure qui sépare la période antique de l’histoire de l’Europe de celle que l’on désigne usuellement sous le nom de moyen âge. En fermant la mer et en isolant par cela même l’un de l’autre l’Occident et l’Orient, il a mis fin, en effet, à cette unité méditerranéenne qui constituait depuis des milliers d’années le caractère le plus frappant et la condition même du développement traditionnel de la civilisation dans cette partie du monde. Il y a introduit une perturbation complète tant dans le domaine économique que dans le domaine politique. Sous sa poussée, le centre de gravité de l’Occident a été, des côtes de la mer, refoulé vers le Nord. « Il est impossible, concluais-je, de ne voir qu’un jeu du hasard dans la simultanéité du blocus de la Méditerranée par l’Islam et de l’entrée en scène des Carolingiens… Sans l’Islam, l’Empire franc n’aurait sans doute jamais existé, et Charlemagne, sans Mahomet, serait inconcevable. »

Si cette hypothèse correspond à la réalité, elle entraîne comme conséquence la nécessité de modifier de façon profonde les idées courantes sur les premiers temps de notre histoire. Non seulement elle prolonge l’antiquité bien au delà des bornes qu’on lui assigne généralement, mais elle

  1. Revue belge de philologie et d’histoire, t. I, 1922, p. 77 et suiv.