Page:Pirenne - Un contraste économique, Mérovingiens et Carolingiens, 1923.djvu/11

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toutes les époques, suivent les armées, ou bien au négoce interlope que des aventuriers, tout à la fois acheteurs d’esclaves et de fourrures, pratiquaient dans les « marches » slaves, ou bien à des colporteurs juifs ou chrétiens cherchant fortune au long des routes. Il n’y a trace en tout cela ni d’une classe de marchands professionnels, ni d’une activité commerciale réglée et indispensable au maintien de la société. La pauvreté des stipulations relatives au commerce que renferment les capitulaires aurait bien dû dessiller les yeux. Non seulement elles sont extraordinairement peu nombreuses, mais elles établissent encore que le commerce dont elles parlent n’est qu’un simple commerce d’occasion ou un petit commerce de détail. Incontestablement, on ne trouve plus, à l’époque carolingienne, cette circulation générale des hommes et des choses dont les temps mérovingiens nous donnent encore le spectacle. Les quelques négociants que l’appât du gain excite encore à de lointains parcours sont des Juifs, des Italiens (probablement des Vénitiens), ou des coureurs d’aventures. Ajoutez à cela des serviteurs chargés du ravitaillement de la cour ou de celui des abbayes[1], et vous aurez une idée complète de ce que l’on prétend nous faire passer pour le « grand commerce » au ixe siècle.

On invoque encore, en faveur du renouveau économique de ce temps, les fondations de marchés si nombreuses dès le règne de Pépin le Bref. Or, elles établissent précisément le contraire de ce qu’on prétend leur faire démontrer. Si l’on n’en rencontre pas durant l’époque mérovingienne, c’est que le commerce d’alors s’orientait naturellement vers les « cités ». Chacune d’elles constituait pour ses environs un entrepôt permanent ; elles remplissaient, mutatis mutandis, la fonction dont devaient s’acquitter, à partir du xie siècle, les villes du moyen âge. Mais du jour où l’invasion musulmane a mis fin à l’intercourse qui garantissait ce rôle des cités, du jour où le mouvement commercial s’est arrêté et où les diverses régions de la monarchie ont cessé de communiquer naturellement les

  1. Imbart de la Tour, Des immunités commerciales accordées aux églises du viie au ixe siècle. Études d’histoire du moyen âge dédiées à Gabriel Monod, p. 71 et suiv.