Page:Pirenne - Un contraste économique, Mérovingiens et Carolingiens, 1923.djvu/10

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Méditerranée est complète[1]. Elle l’est tellement qu’à partir de 716 l’abbaye de Corbie cesse de faire ratifier ses immunités au tonlieu de Fos. On ne relève plus dans aucune « cité » la présence de ces marchands étrangers ou indigènes qui les animaient au viie siècle. Elles ne sont plus évidemment que des centres d’administration ecclésiastique où seuls l’évêque et son clergé entretiennent quelque mouvement[2]. Pour trouver des ports s’ouvrant encore au trafic extérieur et communiquant leur activité aux régions voisines, il faut atteindre l’extrême nord de la Gaule. Ici, la Manche et la mer du Nord entretiennent par Rouen, par Quentovic, par Duurstede, en attendant l’époque des invasions normandes, un certain transit entre les côtes de l’Angleterre, des pays scandinaves et de la Germanie septentrionale avec celles de l’Empire carolingien[3]. Duurstede surtout paraît avoir exercé une influence appréciable. Elle a probablement été le centre d’attraction de ce commerce des draps de Flandre, exportés dans les barques des bateliers frisons par l’Escaut, la Meuse et le Rhin[4], qui communique aux bassins de ces fleuves une animation que l’on ne rencontre nulle part ailleurs dans la Francia. Les textes allégués pour prouver le contraire perdent toute valeur lorsqu’on les interprète sans idées préconçues. Ou bien ils se rapportent à ces troupes de louches trafiquants qui, à

  1. J’ai déjà donné, dans Mahomet et Charlemagne, p. 85, une preuve irrécusable de cette fermeture, en rappelant que l’usage du papyrus, qui était importé par Marseille, disparaît en Gaule au viiie siècle. La plus ancienne mention que l’on en ait est de 787, mais depuis 677 la chancellerie royale a déjà cessé de l’employer. M. Prou, Manuel de paléographie, 3e édit., p. 17.
  2. On ne trouverait plus, à l’époque carolingienne, une ville telle qu’Orléans au temps de Grégoire de Tours, où il existe encore des habitants assez riches pour recevoir le roi à leur table (Grég. de Tours, l. VIII, 1). Il faut remarquer de plus que l’organisation municipale, dont on trouve encore des traces irrécusables sous les Mérovingiens (Fustel de Coulanges, La monarchie franque, p. 236), a disparu depuis le viiie siècle.
  3. A. Bugge, Die nordeuropäischen Verkehrswege im frühen Mittelalter, etc., Vierteljahrschrift für Social-und Wirtschaftsgeschichte, t. IV [1906] p. 227, et suiv.
  4. H. Pirenne, Draps de Frise ou draps de Flandre ? Ibid., t. VII [1909], p. 308 et suiv.