Page:Pirenne - Un contraste économique, Mérovingiens et Carolingiens, 1923.djvu/3

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À lire sans idée préconçue les documents, somme toute assez abondants, que nous avons conservés des temps mérovingiens, on se persuade que la vie économique de cette époque est restée dans tous ses traits essentiels ce qu’elle était à la fin de l’Empire romain. Sans doute la Gaule a formidablement souffert des catastrophes que depuis le iiie siècle les barbares ont fait fondre sur elle. La population a diminué, l’administration s’est détraquée, la culture intellectuelle aussi bien que l’état de la morale et des mœurs publiques et privées sont lamentables. La civilisation, si l’on peut ainsi dire, s’est dégradée, mais cette dégradation ne l’empêche pas de conserver une physionomie encore nettement romaine. On reconnaît cette physionomie au premier coup d’œil, dans l’écriture cursive mérovingienne, une simple transformation de l’écriture antique. Il suffit de parcourir Grégoire de Tours pour se convaincre que, dans la Gaule des successeurs de Clovis comme dans la Gaule du Bas-Empire, les « cités » constituent les centres de la vie religieuse comme de la vie civile. La société reste imprégnée de ce caractère municipal que Rome lui a imprimé. C’est dans les « cités » que résident les rois, les évêques et les comtes ; c’est vers elles que converge l’activité économique des campagnes, et en elles que se concentre l’activité commerciale. Comme aux temps de l’Empire, l’agriculture occupe incontestablement la plus grande partie de la population et forme la base de la richesse et du crédit. Mais il serait tout à fait inexact de lui attribuer l’importance exclusive dont on lui fait honneur généralement. À côté d’elle, le commerce continue à entretenir une classe nombreuse de marchands de profession. Et il est frappant de constater à quel point il apparaît comme la continuation directe du commerce de l’antiquité. Faute d’autres preuves, le système monétaire des rois francs établirait cette vérité jusqu’à l’évidence. Ce système, on le sait trop bien pour qu’il soit nécessaire d’y insister ici, est purement romain ou, pour parler plus exactement, romano-byzantin. Il l’est par les monnaies qu’il frappe : le sou, le tiers de sou et le denier ; il l’est par le métal qu’il emploie :