Page:Pirenne - Un contraste économique, Mérovingiens et Carolingiens, 1923.djvu/5

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tout que le mouvement du port se répercute largement sur son hinterland et se fait sentir jusque dans le nord de la monarchie franque. Par lui, tout le commerce de la Gaule est entraîné vers la Méditerranée. Bordeaux, Rouen et Nantes sur les côtes de l’Atlantique, Duurstede non loin de celles de la mer du Nord, entretiennent probablement dès la fin du vie siècle quelques relations avec la Grande-Bretagne, mais leur insignifiance ne fait que mieux ressortir l’hégémonie méditerranéenne de Marseille. Il est tout à fait instructif d’observer à quel point cette ville constitue un centre de rayonnement et d’attraction économique. On ne peut douter que les Juifs et les Syriens si nombreux dans les « cités » franques n’entretiennent avec elle des rapports constants, lorsque l’on voit les Juifs de Clermont-Ferrand, obligés de choisir entre l’émigration ou le baptême, se réfugier dans ses murs. Les produits que l’on décharge sur ses quais, bien loin de n’être destinés qu’à subvenir à l’alimentation locale, le sont évidemment à être transportés vers l’intérieur. Il suffit pour s’en convaincre de constater la diffusion, dans toute la Gaule, des vins de Gaza[1]. C’en est une autre preuve que l’exemption du droit de tonlieu à Fos accordée par Clotaire III et par Childéric II à l’abbaye de Corbie, sur l’huile, les épices et le papyrus[2]. C’en est une autre encore plus frappante que l’importance prépondérante de l’huile dans le commerce de Marseille. La Provence, en effet, étant couverte d’oliviers, comment expliquer cette importation d’huile sans admettre qu’elle ne servait qu’à l’exportation ?

En voilà assez pour conclure que le commerce des temps mérovingiens présente encore très nettement tous les caractères du grand commerce[3]. C’est certainement une erreur que de prétendre le restreindre aux seuls objets de

  1. Scheffer-Boichorst, loc. cit., p. 539.
  2. L. Levillain, Examen critique des chartes mérovingiennes et carolingiennes de l’abbaye de Corbie, p. 220, 231, 235. Il s’agit du tonlieu de Fos près d’Aix-en-Provence.
  3. N’est-ce pas un grand marchand que le Negociator dont nous parle Grégoire de Tours, (IV, 43), auquel on vole sur les quais de Marseille 70 tonneaux d’huile ?