Page:Pirenne - Un contraste économique, Mérovingiens et Carolingiens, 1923.djvu/8

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

lancer au xxe la Weltpolitik de l’Allemagne. Ils ne craignaient pas de lui attribuer l’idée de la jonction du Rhin au Danube, et expliquent sérieusement les guerres contre les Avars par le désir d’ouvrir une route directe vers Constantinople[1]. On ne prête qu’aux riches et tout le monde, sans doute, n’est pas aussi généreux. Il existe pourtant une tendance très répandue à envisager le règne de Charles comme une époque de renouveau dans tous les domaines. Subitement, la culture intellectuelle, l’organisation de l’État et celle de l’Église, le droit, les mœurs, la morale se transforment. Comment en aurait-il pu être autrement de l’économie ? On est tout naturellement porté à la faire participer au « progrès » commun. Je ne crois pas qu’il existe une seule histoire où elle ne soit pas décrite, à la période carolingienne, comme bien supérieure à ce qu’elle était sous les Mérovingiens.

Cette appréciation est-elle fondée ? De ce qu’il s’est produit sous Charlemagne, par la collaboration étroite de l’empereur et de l’Église, une réadaptation générale de la civilisation européenne, placée par l’invasion islamique dans des conditions d’existence inattendues ; de ce que le parti a été pris alors – et c’était évidemment un parti-pris de génie – de conformer l’État et la société aux nécessités du temps, d’accepter franchement la réalité et d’utiliser les possibilités matérielles et spirituelles qu’elle présentait ; de ce que, pour quelque temps du moins, la régularité s’est substituée à l’anarchie et de ce qu’une nouvelle conception de l’ordre européen s’est fait jour, il ne suit pas du tout que dans chacune de ses manifestations l’œuvre accomplie soit forcément en avance sur ce qui existait auparavant. À comparer les temps carolingiens aux temps mérovingiens, ce que l’on constate, c’est un changement de type. L’originalité de Charlemagne, c’est d’avoir fait du neuf, c’est d’avoir abandonné la tradition antique, c’est

  1. Je fais allusion à Inama-Sternegg dont les exagérations sont relevées par A. Dopsch, Die Wirtschaftsentwickelung der Karolingerzeit, t. II, p. 181 et suiv. M. Dopsch croit d’ailleurs que l’économie carolingienne se caractérise par un développement important du commerce.