Page:Pirenne - Un contraste économique, Mérovingiens et Carolingiens, 1923.djvu/9

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d’avoir tiré les conséquences de ce fait que l’Europe occidentale ne pouvait plus vivre de la Méditerranée. C’est en cela que réside le contraste entre son règne et celui des successeurs de Clovis. Mais ce contraste n’implique en rien un progrès, si l’on entend par progrès un degré plus avancé de développement. Dans l’ordre économique en particulier, le seul dont il soit question ici, ce qui apparaît incontestablement depuis la fin du viiie siècle aux jours même les plus glorieux du grand empereur, c’est une décadence.

Cette décadence se manifeste particulièrement frappante en ceci que l’Empire carolingien en est revenu à un genre d’existence essentiellement agricole. Que l’on m’entende bien. Je suis loin de partager l’opinion des économistes qui, amoureux de systèmes, prétendent enclore tous les premiers siècles du moyen âge dans une période d’économie domestique fermée sans le moindre soupçon de commerce et d’industrie. Le commerce et l’industrie se rencontrent à toutes les époques, y compris les époques préhistoriques. Et l’on a beau jeu à relever dans les capitulaires, les chartes, les annales et les vies de saints du ixe siècle, des mentions de mercatores et de negociatores[1]. Ce n’est point de cela qu’il s’agit, et poser la question comme si elle ne portait que sur l’existence d’un certain commerce à l’époque carolingienne, c’est la mal poser. L’existence de ce commerce n’est point en cause ; ce qui l’est, c’est son importance. Était-il plus considérable que celui de la Gaule mérovingienne ou l’était-il moins, jouait-il ou ne jouait-il pas un rôle primordial ? Voilà ce qu’il faut savoir et voilà seulement ce qui importe.

Pour formuler une réponse satisfaisante à cette question, il est indispensable d’envisager dans son ensemble la constitution économique de l’époque.

Il ressort avec force de cet examen que le commerce n’y occupe qu’une place si minime que l’on peut la considérer comme négligeable. Au sud, la fermeture des ports de la

  1. C’est ce que fait M. Dopsch avec une érudition très grande dans l’ouvrage cité plus haut, p. 224 n. 1. Cf. encore l’intéressant travail de M. J. W. Thomson, The commerce of France in the ninth century, The Journal of political economy, t. XXIII [1915], p. 857 et suiv.