Page:Planck - Initiations à la physique, trad. du Plessis de Grenédan, 1941.djvu/35

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aucun observateur humain. Pourtant quiconque prétendrait, pour cela, contester la légitimité de ces conclusions, renoncerait par là même à penser en physicien.

On ne trouverait pas un physicien à douter qu’il soit légitime d’affirmer qu’un être doué d’intelligence et possédant un organe sensible aux rayons ultra-violets, assimilerait complètement ces rayons aux rayons visibles, bien que personne n’ait jamais vu un rayon ultra-violet, ni un être susceptible de les percevoir. Il n’y a pas de chimiste à douter que l’on doive attribuer au sodium existant dans le soleil les mêmes propriétés chimiques qu’au sodium terrestre, bien qu’il n’ait aucun espoir de pouvoir jamais remplir une éprouvette avec du sodium solaire.

Nous voilà donc amenés à répondre à la question que nous nous posions à la fin du premier paragraphe de cette conférence : la conception de l’univers selon la physique n’est-elle qu’une création arbitraire de notre esprit ou bien devons-nous affirmer, au contraire, qu’il y a des phénomènes naturels tout à fait indépendants de nous ? Ou bien, pour parler d’une façon plus concrète, est-il raisonnable d’affirmer que le principe de la conservation de l’énergie était déjà valable dans la nature avant qu’il y eût des hommes qui pussent y songer ? Doit-on dire que les astres obéiront toujours à la loi de la gravitation, même quand la terre et tous ses habitants auront été réduits en miettes ?

Après tout ce que je viens de dire on comprendra aisément que je réponde affirmativement ; mais je ne me le dissimule pas, ma réponse va, dans une certaine mesure, à l’encontre de certains courants d’opinion philosophiques auxquels l’autorité d’Ernest Mach a donné beaucoup de prestige, précisément dans les milieux scientifiques. Suivant cette opinion, il n’existe pas d’autre réalité que nos propres sensations et toutes les sciences positives ne sont, en dernière analyse, qu’un essai d’adaptation de nos pensées à nos sensations : adaptation faite d’un point de vue purement économique, sous la pression de la lutte pour la vie. Il en résulte que la ligne de démarcation entre les sciences physiques et la psychologie n’aurait qu’une valeur pratique et toute conventionnelle ; les seuls véritables éléments de l’univers n’étant, en définitive, que des sensations.