Page:Planck - Initiations à la physique, trad. du Plessis de Grenédan, 1941.djvu/8

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opposition au monde tel que nous le donnent nos sensations immédiates.

Cette opinion, pour évidente qu’elle paraisse au premier abord et pour inattaquable qu’elle soit du point de vue logique, je la tiens pour étroite et stérile.

La recherche scientifique ne procède pas, en effet, à l’exploration de nouveaux cantons de son domaine en commençant par poser tout d’abord avec précision la question à laquelle il s’agit de répondre, pour s’attaquer seulement ensuite à la solution du problème. Tout au contraire, quiconque a travaillé à des points vraiment nouveaux de physique sait par expérience qu’il n’est pas moins difficile de poser un problème que de le résoudre et qu’il arrive souvent que l’énoncé définitif et la solution soient trouvés simultanément. Or il en est de même quand il s’agit du monde extérieur, celui-ci ne se trouve pas à l’origine, mais au terme de la recherche en physique. Ce terme, à vrai dire, on ne peut jamais complètement l’atteindre, mais on ne doit jamais le perdre de vue si l’on veut progresser. Remarquons, à ce propos, que la physique, comme toute autre science, contient un certain noyau d’irrationnalité, impossible à réduire entièrement. Et cependant considérer cet irrationnel comme se situant en dehors de la science, par définition, serait priver cette dernière de tout son dynamisme interne.

La cause de cette irrationnalité comme la physique moderne le fait ressortir de plus en plus nettement, réside dans le fait que le savant lui-même est une des parties constitutives de l’univers. Il lui est donc impossible de s’isoler complètement de ce même univers, ce qui serait cependant nécessaire pour en avoir une connaissance pleinement objective.

D’un état de choses inévitable comme celui-là il n’y a qu’à s’accommoder tant bien que mal en se bornant à trouver sa satisfaction dans la conscience d’avoir exploré tout l’explorable, en réservant une vénération sereine à l’inexplorable. De cette satisfaction, Gœthe octogénaire disait qu’elle était la plus haute qui puisse échoir à l’homme pensant.