Page:Platon - Œuvres, trad. Cousin, IX et X.djvu/244

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On m’a dit une chose que je crois vraie. La voici : Léonce, fils d’Aglaïon, revenant un jour du Pirée, le long de la partie extérieure de la muraille septentrionale, aperçut des cadavres étendus sur le lieu des supplices ; il éprouva le désir de s’approcher pour les voir avec un sentiment pénible, qui lui faisait aussi détourner les regards. Il résista d’abord, et se cacha le visage ; mais enfin, cédant à la violence de son désir, il courut vers ces cadavres, et ouvrant de grands yeux, il s’écria : Hé bien, malheureux, rassasiez-vous d’un si beau spectacle.

J’ai ouï raconter ce trait.

C’est une preuve que la colère s’oppose quelquefois en nous au désir, comme à une chose distincte de lui.

Oui, c’en est une preuve.

Ne remarquons-nous pas aussi en plusieurs occasions que, lorsqu’on se sent entraîné par ses désirs malgré la raison, on se fait des reproches à soi-même, on s’emporte contre ce qui nous fait violence intérieurement, et que dans ce conflit qui s’élève comme entre deux personnes, la colère se range du côté de la raison ? Mais qu’elle se soit jamais mise du côté du désir, quand la raison prononce qu’il ne faut pas faire quelque chose, c’est ce que tu n’as jamais éprouvé en toi-même ni remarqué dans les autres.