Page:Platon - Œuvres, trad. Cousin, V et VI.djvu/705

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
251
LE BANQUET.

par qui un amant n’aimât mieux être vu abandonnant son rang ou jetant ses armes que par ce qu’il aime, et qui n’aimât mieux mourir mille fois que subir cette honte, à plus forte raison que d’abandonner ce qu’il aime et de le laisser dans le péril. Il n’y a point d’homme si timide que l’Amour n’enflammât de courage et dont il ne fît alors un héros ; [179b] et ce que dit Homère que les dieux inspirent de l’audace à certains guerriers[1], on peut le dire plus justement de l’Amour, par rapport à ceux qui aiment. Il n’y a que parmi les amans que l’on sait mourir l’un pour l’autre. Non-seulement des hommes, mais des femmes même ont donné leur vie pour sauver ce qu’elles aimaient ; témoin Alceste, fille de Pélias : dans toute la Grèce il ne se trouva qu’elle qui voulût mourir pour son époux, quoiqu’il eût son père [179c] et sa mère[2]. L’amour de l’amante surpassa de si loin leur amitié, qu’elle les déclara, pour ainsi dire, des étrangers à l’égard de leur fils ; il semblait qu’ils ne fussent ses proches que de nom. Aussi, quoiqu’il se soit fait dans le monde un grand nombre de belles actions, celle d’Alceste a paru si belle aux

  1. Iliade, X, 482 ; XV, 263.
  2. Euripide, Alceste, 15, et le fragment de Musonius dans Stobée. Florileg. 64.