Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome I.djvu/206

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
122
APOLOGIE DE SOCRATE

quelques-uns. Ainsi se formait un état d’esprit fort dangereux pour Socrate. Il suffisait, pour le perdre, qu’un homme malveillant et habile se rencontrât, qui saurait en profiter.

À vrai dire, il avait été attaqué publiquement depuis longtemps. Les poètes comiques l’avaient mis en scène dès qu’il avait attiré sur lui l’attention publique. Le plus illustre d’entre eux, Aristophane, dans sa comédie des Nuées, que nous possédons, avait fait de lui, en 423, une caricature satirique, qui le représentait comme un impie et un charlatan. On y voyait un Socrate de pure fantaisie, versé dans la philosophie ionienne, adonné à des recherches astronomiques et météorologiques, substituant aux dieux anciens les forces de la nature, enseignant les plus dangereux artifices d’une rhétorique sans scrupules, méprisant la morale et les lois, et finalement, sous son influence, un fils qui insultait et maltraitait son père. La pièce, il est vrai, n’avait pas réussi. Mais pour qu’un jeune poète, à l’affût du succès, en eût conçu le plan, il fallait que le vrai Socrate fût alors bien méconnu du public. Et si, dans les années suivantes, nous ne voyons pas se renouveler d’attaque aussi violente, nous pouvons constater cependant, soit chez Aristophane lui-même, soit dans les fragments encore subsistants d’autres poètes comiques, que la satire était loin de désarmer. Sans exagérer son influence, on peut admettre, tout au moins, qu’elle contribuait pour sa part à entretenir dans le public des préjugés fâcheux, des dispositions défavorables à l’homme qui en était l’objet.

Ce furent ces sentiments que sut mettre à profit, en 399, Anytos, un des hommes qui dirigeaient alors la démocratie[1].

  1. Anytos était fils d’un riche industriel, nommé Anthémion, qui semble avoir été très considéré dans Athènes (Platon, Ménon, p. 90 a). Lui-même gagna la faveur du peuple. Il fut stratège en 409. Ayant échoué dans l’expédition dont il était chargé, il fut mis en accusation et n’échappa à une condamnation, suivant Aristote et Diodore, qu’en corrompant ses juges (Arist., Républ. des Athén., c. 27 ; Diod., XIII, 64). Il est représenté dans le Ménon comme un ennemi des sophistes ; mais il y prend contre Socrate la défense des orateurs populaires (p. 94 e). D’abord attaché à Théramène en 404, il se rallia, après sa mort, au parti démocratique (Xén., Hellén., II, c. 3, §§ 42, 44), fut un des chefs des proscrits réunis à Phylé et prit part au renversement des Trente (Lysias, Contre Agoratos, § 78). Il devint ainsi très influent après la restauration de la démocratie (Isocr., Contre Callimaque, § 23).