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PROTAGORAS

soit, le caractère poétique et symbolique en est évident. Il est d’ailleurs fort spirituel et tout à fait agréable. Mais il est clair aussi qu’une fiction de cette sorte, si ingénieuse qu’elle soit, ne saurait présenter les caractères de rigueur précise et démonstrative que Socrate exige de la science, et Protagoras lui-même le sait fort bien : ce qu’il demande au mythe, ce n’est pas une démonstration proprement dite ; c’est une représentation poétique du réel qui charme et qui fasse penser. Est-ce là une chose condamnable en soi et qui doive être proscrite ? Elle est si peu condamnable aux yeux de Platon qui lui-même, on le sait, en a fait usage plus que personne, et il en a fait usage comme Protagoras, non pour démontrer rigoureusement, mais pour compléter la démonstration dialectique par une sorte d’intuition poétique capable de s’envoler jusque dans les régions où la science proprement dite ne peut atteindre. Le mythe de Protagoras ne suffit pas sans doute à résoudre le problème posé par Socrate, mais il n’y prétend pas. Le seul point sur lequel l’ironie platonicienne semble s’exercer en ce passage, c’est le style. La sophistique avait mis à la mode pour ces compositions artificielles un style où le langage de la prose se revêtait à la fois de certains ornements propres à la poésie et d’autre agréments inventés par Gorgias et son école. Protagoras, dans son récit mythique, use et abuse quelque peu de ces gentillesses : c’était la loi du genre. On y trouve aussi des recherches de naïveté voulue qui s’inspirent des contes populaires. Tout cela, évidemment, est d’un art qui n’est pas très pur et qui sent quelque peu sa décadence ; quand Platon compose des mythes pour son propre compte, il écrit d’un autre style. Ce ne sont là, d’ailleurs, que de menus détails de forme, qu’il est plaisant de souligner ironiquement, mais qui n’intéressent guère la question générale de la valeur des méthodes.

Contre le second procédé des sophistes, le discours suivi, Socrate élève une objection de forme ironique, mais au fond sérieuse. Il prétend que manquant de mémoire, il lui est impossible, quand il entend un long discours, d’en garder les détails dans son souvenir. Ce qui revient à dire que, dans le discours suivi, l’orateur passe vite sur une foule d’idées que l’auditeur n’a pas le temps d’examiner. La méthode des discours n’est donc pas une méthode rigoureuse ;