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GORGIAS

dire la vérité, parce qu’ils ne s’intéressent pas à moi, comme tu le fais. Pour ces deux étrangers, Gorgias et Polos, ils sont savants tous deux et de mes amis, mais une malheureuse timidité les empêche d’avoir avec moi bleur franc-parler. Rien de plus évident : cette timidité va si loin qu’elle les réduit l’un et l’autre à se contredire par fausse honte devant un auditoire nombreux et cela sur les plus graves sujets.

Toi, au contraire, tu as toutes ces qualités que les autres n’ont pas : tu es fort instruit, comme en peuvent témoigner une foule d’Athéniens, et tu as de l’amitié pour moi. Quelle preuve en ai-je ? La voici. cJe sais, Calliclès, que vous avez été quatre associés dans l’étude de la philosophie, toi, Tisandre d’Aphidna, Andron[1] fils d’Androtion et Nausicyde de Colarge ; et je vous ai entendus un jour délibérer sur le point jusqu’où il convenait de pousser cette étude. L’opinion qui prévalut parmi vous, je le sais, fut qu’il ne fallait pas la trop approfondir, et vous vous êtes conseillé les uns aux autres de prendre garde à ne pas vous dlaisser gâter à votre insu par l’excès même de la science. C’est pourquoi, lorsque je t’entends me donner les mêmes conseils qu’à tes plus chers compagnons, je n’ai pas besoin d’une autre preuve pour être sûr de ta véritable amitié. Quant à ta franchise et à ton absence de timidité, tu les affirmes hautement et ton discours précédent ne t’a pas démenti.

Voilà donc une question réglée : chaque fois que nous serons d’accord sur un point, ece point sera considéré comme suffisamment éprouvé de part et d’autre, sans qu’il y ait lieu de l’examiner à nouveau. Tu ne pouvais en effet me l’accorder faute de science ni par excès de timidité, et tu ne saurais, en le faisant, vouloir me tromper ; car tu es mon ami, dis-tu. Notre accord, par conséquent, prouvera réellement que nous aurons atteint la vérité.

  1. Cet Andron, qu’on a déjà rencontré dans le Protagoras (315 c), est le père de l’orateur Androtion, contre qui on possède un plaidoyer composé par Démosthène (XXII). D’après ce discours (§ 56, cf. XXIV 125 et 168), il aurait été mis en prison comme débiteur de l’État et se serait évadé. C’est aussi lui, sans doute, qui avait rédigé le décret ordonnant des poursuites contre Antiphon (cf. Cratéros dans Harpocration, s. v. Ἄνδρων et [Plut.] Vita decem oratorum). Les deux autres personnages ne sont connus que de nom.