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MÉNON

tu t’avisais d’interroger de la sorte quelqu’un d’ici, on te rirait au nez, et chacun de répondre : « Étranger, tu me fais bien de l’honneur en me croyant capable de savoir si la vertu peut s’enseigner ou si elle s’acquiert autrement ; pour moi, bien loin de savoir si elle s’enseigne, je n’ai même pas la moindre idée de ce qu’elle peut être. »

Tel est justement mon cas, Ménon ; b je partage en cette matière la misère de mes compatriotes, et je me reproche à moi-même de ne savoir absolument rien de la vertu. Ne sachant pas ce que c’est, comment saurais-je quelle elle est ? Crois-tu qu’on puisse, sans savoir qui est Ménon, savoir s’il est beau, riche et noble, ou tout le contraire ? Juges-tu que ce soit possible ?

Ménon. — Non certes. Mais est-il bien vrai, Socrate, que c tu ignores ce qu’est la vertu, et est-ce là ce que je dois rapporter sur ton compte à mes concitoyens ?

Socrate. — Non seulement cela, Ménon, mais encore que je ne crois pas avoir jamais rencontré personne qui le sût.

Ménon. — Comment ? N’as-tu pas rencontré Gorgias quand il est venu ici ?

Socrate. — Sans doute.

Ménon. — Et tu as jugé qu’il ne le savait pas.

Socrate. — Je ne suis pas assez sûr de ma mémoire, Ménon, pour te dire au juste, en ce moment, mon impression d’alors. Peut-être le savait-il, et peut-être tu sais toi-même ce qu’il en disait. Rappelle-moi d donc ses paroles ; ou, si tu le préfères, parle à ta façon, car tu es sans doute du même sentiment que lui.

Ménon. — En effet.

Socrate. — Laissons-le donc tranquille, puisqu’aussi bien il est absent. Mais toi, Ménon, par les dieux, dis-moi de toi-même ce qu’est la vertu. Parle, fais-moi ce plaisir. Je serai

    plus anciennes de Thessalie, et Xénophon le montre en relations avec Cyrus le Jeune (Anab. I, i, 10). Ménon, qui est son ami, ne saurait être le premier venu — Tous les deux sont disciples de Gorgias. Platon souligne, en particulier, l’influence de celui-ci sur Ménon : l’indication est utile pour l’interprétation du dialogue. Noter tout de suite l’ironie avec laquelle est rappelée la prétention de Gorgias à pouvoir répondre, « comme il est naturel à des savants », sur toute question (Cf. Gorg. 447 c et 459 b-c).