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LE BANQUET

avec son nez épaté et son regard de côté (215 ab, e fin, 221 b ; cf. 216 c). Mais, pas plus que pour l’Amour (cf. 201 b, sq.), il n’en résulte qu’il doive être laid, puisque tant de jeunes hommes, experts en la matière, sont réellement épris de lui (222 b), puisqu’Alcibiade, ayant discerné en lui une beauté dont la possession serait pour son mérite personnel d’un immense profit (218 de), poursuit Socrate de ses assiduités. L’indigence est essentielle à l’Amour, il est malpropre, il marche nu-pieds, il s’accommode de conditions de vie rudes et pénibles (cf. 203 de) ; pareillement, c’est le vêtement du pauvre, le tribôn, que porte Socrate, et, dès le début du récit d’Aristodème (174 a), on nous a rappelé qu’il a l’habitude de n’avoir pas de chaussures (cf. 220 b), et même de ne pas se laver[1]. D’autre part, en face de l’indigence, il y a dans l’Amour un infatigable élan vers des acquisitions toujours nouvelles, mais que jamais il ne réussit à conserver (cf. 203 de). De même Socrate ne fait de la richesse aucun cas (219 e, 216 e), mais rien ne le détourne quand il est en quête d’un enrichissement spirituel, ni la faim, ni la fatigue et le besoin de sommeil, ni le soleil cuisant ou la fraîcheur de la nuit, ni le souci de l’heure et de ce qu’elle exige ; il se recueille alors en lui-même, comme séparé du monde et en extase ; il fait aussi bien son affaire des privations imposées que de l’abondance offerte (220 cd ; cf. 174 d, 175 a-c, d, 176 c). Il y a d’ailleurs une sorte de richesse à la poursuite de laquelle il est sans cesse occupé et toujours à l’affût, c’est la beauté telle qu’il l’entend (213 bc, 222 b ; cf. p. 74, n. 2). L’Amour, il est vrai, semble parfois moribond, mais aussitôt après il revit avec sa première ardeur (cf. 203 e) ; or, dans le discours d’Alcibiade, rien à première vue ne répond à cette notation. Peut-être est-il permis cependant de l’interpréter dans le même

  1. Socrate s’est baigné avant le banquet d’Agathon, comme, dans le Phédon (115 a), il se lave lui-même avant de mourir, c’est-à-dire dans des circonstances d’exception. Ces indications, qui s’accordent avec Aristophane, Nuées 835-837, semblent contredites par l’ablution de Socrate, dans les dernières lignes du dialogue : quelques heures après l’infraction qu’il a faite à ses habitudes, c’est un luxe inexplicable ! Mais il s’agit sans doute d’un simple « débarbouillage », pour se rafraîchir la figure après une nuit blanche, et passée à boire ; il n’y a donc pas de raison de suspecter ἀπονιψάμενον, 223 d 11.