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LE BANQUET

le célibat. Ainsi, d’un mot, aimer les garçons, chérir les amants, voilà les qualités d’un tel homme, parce qu’il ne cesse de s’attacher à ce qui lui est apparenté.

“Le hasard met-il donc sur la route de chacun la moitié en question, qui est précisément la moitié de lui-même ? Alors tous, et non pas seulement l’amoureux des jeunes garçons, une impression surprenante les frappe : impression d’amitié, de parenté, c d’amour ; et ils se refusent à se laisser, si l’on peut dire, détacher l’un de l’autre, fût-ce pour peu de temps. Pareillement, ceux qui continuent ensemble leur existence entière, ce sont des gens qui ne pourraient même pas dire ce qu’ils désirent de se voir advenir l’un par l’autre. Personne en effet ne peut croire que c’est la communauté de la jouissance amoureuse qui est, en définitive, l’objet en vue duquel chacun d’eux se complaît à vivre en commun avec l’autre et dans une pensée à ce point débordante de sollicitude. Mais c’est bien plutôt une tout autre chose que manifestement souhaite leur âme, une chose qu’elle est d incapable d’exprimer ; elle la devine cependant et elle la fait obscurément comprendre. Supposez même que, tandis qu’ils reposent sur la même couche, Hêphaïstos[1] se dresse devant eux muni de ses outils, et leur tienne ce discours : « Quelle est la chose, hommes, dont vous souhaitez qu’elle vous advienne, l’un par l’autre ? » Et supposez encore que, les voyant embarrassés, il poursuive en ces termes : « N’est-ce pas ceci vraiment dont vous avez envie : vous identifier le plus possible l’un avec l’autre, de façon que, ni nuit, ni jour, vous ne vous délaissiez l’un l’autre ? Si c’est en effet de cela que vous avez envie, je peux bien vous fondre ensemble, vous réunir au souffle de ma forge[2], e de telle sorte que, deux comme vous êtes, vous deveniez un, et que, tant que durera votre vie, vous viviez l’un et l’autre en communauté comme ne faisant qu’un ; et qu’après votre

  1. Le Vulcain des Latins, le dieu métallurgiste et forgeron.
  2. Avec une autre leçon, qui peut avoir été celle d’Aristote, on comprendra : faire de vous une seule nature (cf. 191 a s. fin., d, et ici infra), comme quand on obtient du bronze en fondant ensemble du cuivre et de l’étain. Mais l’intention de Platon paraît avoir été plutôt de préciser l’idée de fusion par une image concrète du procédé propre à la réaliser.