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LE BANQUET

le Beau, je pense que c’est bien plutôt cette interprétation qui a suggéré à Platon l’idée d’en confier l’exposition à une prêtresse : n’était-ce pas pour lui le meilleur moyen d’unir, dans la forme comme dans le fond, l’inspiration à la philosophie ? — Ensuite, puisque l’amour est, dans son essence, l’aspiration de la nature mortelle vers l’immortalité, puisqu’il est grand parmi tous ces démons qui sont le trait d’union entre les hommes et la divinité, il était naturel que cette fonction de l’Amour fût reconnue par quelqu’un dont la mission fût précisément de servir à la divinité d’interprète auprès des hommes, ou inversement (202 d-203 a). — Observons en outre dans quel champ se meut l’exposé de Diotime : c’est le champ propre du mythe platonicien. De quoi s’agit-il en effet ? De faire voir dans l’amour un lien entre le sensible et l’intelligible, un stimulant pour l’âme en vue de son ascension vers la Beauté idéale ; l’amour n’est physique qu’à son degré inférieur, mais ses formes les plus hautes se rapportent aux œuvres de la pensée et intéressent l’activité de l’âme ; il nous fait participer à la vie immortelle. Or rien de tout cela n’est proprement du ressort de la science dialectique, car rien de tout cela ne concerne uniquement la pure intelligibilité des Idées. Tout cela au contraire, âme et corps, vie et mort, œuvres des hommes, existence des dieux, tout cela intéresse le devenir et non pas l’être absolu ; il n’y a en tout cela rien de logique, c’est-à-dire rien qui se démontre par la raison seule, mais seulement un objet de représentations vraisemblables sur l’histoire des choses[1]. Dans un tel domaine, qui est celui du mythe, les privilèges de l’inspiration sont à leur place ; ils y sont même nécessaires. — Que, enfin, la prêtresse par qui se manifeste cette inspiration soit Diotime, et non pas seulement « l’Étrangère de Mantinée », cela n’interdit pas plus d’attribuer à Platon lui-même la conception dont il s’agit, que de lui rapporter, par exemple, l’eschatologie du Xe livre de la République, quoique celui qui l’expose ne soit pas seulement un « Étran-

  1. C’est pourquoi, dans le Phédon, la tradition orphique a un rôle si important pour la détermination des motifs que nous pouvons avoir de croire à l’immortalité de nos âmes, et pourquoi aussi les mythes y sont une partie intégrante de la recherche et de l’exposition (cf. Notice, p. xxiii sq., xxvi sq., xxxiv sq., xxxvi sq., xlvi n. 1, xlviii n. 2, lvi ; et p. 17 n. 2, 22 n. 2 et 4, 44 n. 3).