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LE BANQUET

Quant à lui, pris de sommeil, c il dormit fort copieusement vu que les nuits étaient alors longues, pour ne s’éveiller qu’à l’approche du jour : déjà les coqs chantaient. Une fois réveillé, il vit que tout le monde dormait ou s’en était allé, et que seuls Agathon, Aristophane et Socrate continuaient à rester éveillés et à boire dans une grande coupe, qu’ils se passaient de gauche à droite. Socrate donc s’entretenait avec eux. Des propos tenus Aristodème déclarait ne pas tout se rappeler, puisqu’il ne les avait pas suivis d depuis le commencement et aussi qu’il avait la tête un peu lourde. Mais pourtant l’essentiel était que Socrate les contraignait progressivement à reconnaître qu’il appartient au même homme d’être capable de composer comédie et tragédie, et que celui qui est avec art poète tragique est également poète comique[1]. Eux, ils cédaient à cette contrainte, ne suivant pas très bien et laissant choir leur tête ! Ce fut Aristophane, disait-il, qui s’endormit le premier, puis Agathon alors qu’il faisait jour déjà.

Socrate donc, après les avoir amenés tous deux au sommeil, se leva et partit, Aristodème le suivant comme à son habitude. Il prit le chemin du Lycée[2], et, après s’être débarbouillé, il passa, ainsi qu’il l’aurait fait une autre fois, le reste de la journée. Puis, quand il l’eut passée de la sorte, vers le soir il alla chez lui se reposer.


  1. Il est possible que ceci soit un symbole (Notice p. vii sq.). Mais le sens apparent est clair : le poète tragique et le poète comique restent seuls en face du philosophe ; si leur état était philosophique (cf. Phèdre 271 ab), il se fonderait sur une connaissance réelle de l’âme ; or une telle connaissance enveloppe les opposés (cf. Phédon 97 d) ; ainsi le même homme serait capable de représenter l’âme humaine aussi bien dans sa grandeur et sa noblesse que dans sa petitesse et ses ridicules. La philosophie contraint donc les talents instinctifs ou conventionnels à confesser qu’ils ne peuvent se passer de la science qui réellement les domine.
  2. Gymnase dédié à Apollon Lycien et situé à l’Est d’Athènes, au bord de l’Ilissus. Socrate le fréquentait volontiers, cf. Euthyphron, Lysis et Euthydème, au début de chacun.