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PHÈDRE

de l’erreur sont mises en pleine lumière par le Théétète, c’est au Sophiste qu’il appartiendra de fournir la solution. — De son côté, en montrant que l’amour est dans l’âme le lien du sensible avec l’intelligible, que ce ne sont pas là deux mondes qui se nient mutuellement, le Phèdre prend une position antagoniste de celle des Éléates ; ainsi en effet il réconcilie le non-être de la sensibilité avec l’être de l’Idée. Ce savoir secret dont le Théétète nous dit que chaque âme est grosse a pour pendant le pouvoir latent de s’élever que, d’après le Phèdre, gardent toujours les ailes de celle-ci, desséchées et durcies par son union à un corps de terre : double expression mythique, par conséquent, d’une idée à laquelle le Sophiste donnera sa forme dialectique. De plus, la méthodologie du Phèdre semble complémentaire de l’épistémologie du Théétète. Enfin, tandis que ce dernier envisageait l’affection sensible, le πάθος, sous son aspect de sensation, d’état individuel et momentané qui, sans l’acte synthétique du jugement, n’est à aucun degré une connaissance, l’autre la considère sous l’aspect d’une jouissance, qui n’est pas le véritable amour ou qui n’en est qu’une dégradation. D’autre part, en un passage (258 e et p. 59, n. 1) qui rappelle une analyse de la République, il prélude au développement que cette analyse doit recevoir dans le Philèbe.

En somme ce seraient là deux dialogues en quelque mesure parallèles, et pareillement liminaires. Avant d’entrer dans des voies qui, préparées de longue date, n’en sont pas moins nouvelles, il semble que Platon ait voulu régler ses comptes : dans le Théétète, c’est avec certaines écoles philosophiques, hormis toutefois celle sous la pression de laquelle il s’engageait justement dans ces chemins nouveaux ; dans le Phèdre, c’est avec les écoles des rhéteurs. Les deux dialogues se placeraient donc dans la période qui précède le départ de Platon, au printemps de 366, pour son deuxième voyage en Sicile. Toute tentative pour préciser davantage serait arbitraire. Mais, si la République a, comme je le crois, précédé le Phèdre ; si le Banquet est de 385 ou de 380 environ, écho plus ou moins attardé de la fondation de l’Académie (cf. Banquet, Notice p. ix, n. 2 et p. xci sq.) ; si l’on réfléchit aux tâches absorbantes que sa fonction de Chef d’École dut imposer à Platon, on pensera qu’entre le Banquet et le Phèdre il a dû s’écouler un intervalle qui ne peut être inférieur à une dizaine