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PHÈDRE

et l’instigateur probable de la mort de Polémarque, mais le maître encore de Charmide, l’oncle de Platon ; or Charmide avait été l’un des Dix, qui représentaient au Pirée, à l’égard d’une population de métèques et d’Athéniens interdits de séjour, l’implacable autorité des Tyrans. Sans doute Lysias était-il, comme son patron Thrasybule, un démocrate plutôt radical, tandis qu’Anytus appartenait à la fraction modérée du parti. Mais, puisqu’il s’agissait d’anéantir une propagande aussi agissante que celle de Socrate, subversive de toutes les valeurs sociales et politiques admises, bien plus, antipatriotique dans la mesure où elle affichait des sympathies lacédémoniennes, une action concertante d’hommes appartenant à des fractions opposées pouvait être très légitimement envisagée et acceptée.

Ainsi la sévérité, incroyablement partiale, dont Platon a fait preuve envers Lysias pourrait s’expliquer en partie par la rancune qu’il lui aurait gardée de sa participation, dans la coulisse, à la conjuration ourdie contre Socrate en 399. S’il en est bien ainsi, loin d’apaiser cette rancune, la composition d’une Apologie de Socrate, exercice rhétorique destiné à rivaliser avec l’exercice contraire de Polycrate, était une indécence, avivant encore la blessure. L’animosité de Platon contre Lysias serait donc comparable à celle qu’il ressent à l’égard d’Aristophane, auquel, en dépit des illusions que peut suggérer le Banquet (cf. la Notice, p. lvii-lix), il n’a jamais pardonné ; avec cette différence toutefois que le génie d’Aristophane a pu lui paraître digne d’un acte de justice que ne méritait pas l’adresse sans scrupule du rhéteur. Ce n’est pas tout : il est possible aussi, à supposer le Phèdre écrit entre 370 et 366, que Platon ait souhaité ménager, soit Denys encore vivant en 368, soit plus généralement la cour de Syracuse. Après l’algarade de Lysias aux Jeux Olympiques de 388, il pouvait sentir le besoin de marquer avec force, et son désaveu de l’insulte et son antipathie pour l’insulteur : n’était-ce pas sur cette puissance des princes siciliens que comptait Platon pour réaliser son État modèle ?


Isocrate.

Ainsi Lysias aurait été délibérément élu entre tous les rhéteurs pour que son nom détesté portât, à lui seul, le poids des fautes de la rhétorique. Pourquoi Isocrate est-il au contraire exclu de cette