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NOTICE

de la philosophie de Platon, de sa théorie de l’âme en particulier, aurait alors le caractère d’un accident : ce serait quelque chose d’extrinsèque et de déterminé par le dehors. Dans cette hypothèse, la rhétorique deviendrait le sujet principal. Ne peut-on cependant se demander alors pourquoi Platon a choisi un discours sur l’amour plutôt que sur tout autre sujet ? Sans doute allèguera-t-on l’existence réelle de ce discours de Lysias. Supposons pour l’instant qu’il soit en effet de lui. Le choix n’en subsiste pas moins : entre tous les thèmes que Lysias, rhéteur, pouvait avoir traités dans des discours épidictiques, il a préféré celui-ci. Or un choix suppose un dessein. C’est donc que, dans ce dessein, au problème de la valeur d’un enseignement de la rhétorique se trouvait uni le problème de l’amour. Au surplus, si le premier de ces problèmes était le vrai et le seul sujet, tandis que le second ne serait qu’une matière de fait, accidentellement fournie à Platon, certaines particularités de structure s’expliqueraient fort mal. Pourquoi n’a-t-il pas suffi à Socrate de refaire le discours de Lysias, puis de le critiquer et, enfin, de joindre à cette critique ses propres vues sur l’art de parler ? Pourquoi la critique est-elle ainsi coupée en deux tronçons (234 e-236 a, 262 c-265 c) ? Et surtout, pourquoi y a-t-il, au centre de l’œuvre, cette « palinodie » dans laquelle ce n’est plus seulement la forme qui est corrigée, mais bien le fond même et où est instituée une doctrine ? Mais si, d’un autre côté, on arguait de ce qu’elle est le point culminant d’un effort en vue de déterminer la fonction de l’amour, pour prétendre inversement que la rhétorique est le sujet accessoire et l’amour le sujet principal, c’est alors une autre question qui se poserait : pourquoi le mythe des Cigales (259 b sqq.) ? Or on voit au contraire qu’il est destiné à nous rappeler qu’avec la doctrine de l’amour, exposée dans la palinodie, le sujet n’est pas épuisé et qu’on serait coupable de ne pas le conduire à son terme. Une conclusion semble donc s’imposer à nous : c’est que, conformément à ce qu’exige aux yeux de Platon tout discours, il y a dans le Phèdre une solidarité organique entre l’élément « amour » et l’élément « rhétorique », qu’aucun des deux ne peut être rendu indépendant de l’autre, mais que tous deux concourent à la vie de l’ensemble.