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MÉNEXÈNE

éloges : pour les obtenir il n’est pas besoin d’en être digne ; indifférents à la vérité, ils glorifient en chacun les qualités qui lui sont étrangères comme celles qui lui appartiennent (234 c-235 a). Ils n’ont pas le caractère de spontanéité qui conviendrait à des discours dictés par l’émotion, sous le coup d’événements particuliers : préparés de longue main, ils ne peuvent guère offrir que des lieux communs applicables à toutes les circonstances (234 c, 235 d). La séduction qu’ils exercent ne vient donc pas de leur vérité, ni de leur justesse : elle réside dans les flatteries qu’ils développent, et dans l’éclat d’une forme pompeusement ornée (235 a).

Mais la critique tombe aussi sur le public. Il se laisse prendre à ces éloges magnifiques, qui ne glorifient pas seulement les morts, mais célèbrent de toutes les manières la cité tout entière, les ancêtres et les vivants (235 a). C’est une sorte de charme et d’ensorcellement[1] qui flatte délicieusement les oreilles de l’auditeur, le grandissant à ses propres yeux et lui donnant l’illusion d’appartenir à un monde héroïque. Socrate lui-même, à ce qu’il prétend, ne se reconnaît plus, quand il a entendu ces orateurs. Il se croit devenu un autre homme, transporté dans les Îles des Bienheureux ; et il lui faut trois ou quatre jours pour revenir au sentiment de la réalité (235 a-c).

Il n’y a donc pas à se méprendre sur l’admiration qu’il manifeste pour « l’habileté »[2] des orateurs. Même choisis au dernier moment, ils n’ont pas le mérite de l’improvisation, puisque leurs discours sont tout préparés d’avance. Et d’ailleurs, il est facile d’obtenir l’applaudissement, quand on parle devant ceux-là même dont on fait l’éloge (235 d). N’importe qui en serait capable ; et l’on ne saurait s’étonner que Socrate lui-même se sentît en état de prendre la parole, s’il était choisi (235 e).

Que pouvons-nous attendre du discours qu’il va produire à l’appui de ses allégations ? Une oraison funèbre comme pourrait en composer le premier venu en se réglant sur les procédés de l’école : le défilé des lieux communs habituels, des éloges étendus à l’ensemble de la cité, aux aïeux et aux vivants comme aux morts ; un parti pris de glorification,

  1. Γοητεύουσιν (235 a), κηλούμενος ; (235 b).
  2. Ἀνδρῶν σοφῶν (234 c) ; δέξιοι (235 c).