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NOTICE

aimée des dieux, est expressément traitée, dans le Critias[1], de légende déraisonnable. Le philosophe n’attache aucune importance à la noblesse de l’origine, exaltée dans le Ménexène ; il est indifférent aux exploits des ancêtres[2]. Quand l’orateur, reprenant un lieu commun de l’oraison funèbre, définit la démocratie athénienne comme une aristocratie, l’éloge peut sembler sincère. Mais qu’on y regarde de près : « les charges sont données à ceux qui paraissent (δόξασιν) être les meilleurs (238 d) ; c’est celui qui passe (δόξας) pour habile et honnête qui a l’autorité et le commandement ». Si l’on se rappelle l’opposition fondamentale que Platon établit entre l’opinion (ou l’apparence) et la réalité, on n’apercevra plus dans ce jugement flatteur qu’un sarcasme, dirigé contre une forme de gouvernement pour laquelle le philosophe aristocrate n’éprouvait que dédain[3]. L’anecdote sur le procédé employé à Érétrie par l’armée de Datis pour ne laisser échapper aucun ennemi (240 ab) est rapportée dans les Lois (698 d) avec un sourire, comme un racontar au moins suspect[4]. Et l’on peut se demander si ce n’est point par ironie que l’auteur du Ménexène insiste sur d’autres parties de son éloge. La glorification des victoires remportées dans les guerres médiques est-elle entièrement sincère ? Le doute est permis, quand on voit l’Athénien des Lois (707 cd) mentionner dédaigneusement Artémision et Salamine, en opposant au salut matériel des individus, assuré par ces triomphes, l’amélioration des âmes comme un avantage beaucoup plus précieux[5]. Les accents que trouve le Ménexène pour célébrer la réconciliation des partis après la chute des Trente (243 e, 244 ab) ont une beauté émouvante, et il n’est pas douteux que Platon ne souhaite dans la cité l’union des cœurs. Mais le neveu de Charmide, le cousin de Critias est-il tout à fait sincère quand il cite en exemple la manière dont cette réconciliation s’est opérée ? Ne

  1. 109 b. Cf. Berndt, o. l., p. 10 sq.
  2. Théétète, 173 d, 174 d, 157 b. Cf. Wendland, o. l., p. 179.
  3. M. Hoffmann, Zur Erklärung Platonischer Dialoge (Zeitschr. f. d. Gymnasialw., LIX, 1905, p. 330) ; Th. Gomperz, Les penseurs de la Grèce, II, p. 465 ; H. Raeder, o. l., p. 126 ; F. Blass, Die altische Beredsamkeit, I, p. 468 ; Wendland, o. l., p. 187.
  4. Wendland, o. l., p. 188.
  5. Blass, o. l., p. 469.