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CRATYLE

qui conservent plus que nous c l’ancien parler[1]. Aujourd’hui on remplace l’i par l’é ou l’ê ; et le d par le z, comme ayant évidemment plus grand air.

Hermogène. — Comment cela ?

Socrate. — Par exemple, dans les temps les plus reculés on appelait le jour himéra ou héméra, tandis qu’aujourd’hui on dit hêméra.

Hermogène. — C’est exact.

Socrate. — Or sais-tu bien que, seul, cet ancien nom exprime la pensée de l’auteur ? C’est parce que les humains éprouvaient de la joie à voir la lumière d sortir de l’obscurité et la désiraient (himeïrousin) qu’on a fait le mot himéra (désirée).

Hermogène. — Apparemment.

Socrate. — Aujourd’hui il a reçu une forme pompeuse[2] et l’on ne peut plus comprendre ce que veut dire hêméra. Toutefois, selon certains, c’est parce que le jour apprivoise (hêméra poiéï) qu’il a été appelé ainsi.

Hermogène. — C’est mon avis.

Socrate. — Quant au joug (zugon), tu sais que les anciens l’appelaient duogon[3].

Hermogène. — Parfaitement.

Socrate. — Si zugon n’indique rien, le nom de duogon a été justement donné e aux deux animaux attachés pour conduire (duoïn… agôgên) ; mais aujourd’hui on dit zugon. Et il a une foule d’autres cas du même genre.

Hermogène. — Apparemment.

Socrate. — C’est de même, tout d’abord, que le mot déon, ainsi prononcé, a un sens contraire à tous les noms qui concernent le bien ; car l’obligatoire (déon), qui est une forme du bien, a l’air d’être une chaîne (desmos) et un obstacle au mouvement, comme s’il était frère du nuisible (blabéron).

    un prélude qui en annonce une série d’autres plus compliquées encore.

  1. Cf. Cicéron, De Orat., 12 : « Facilius mulieres incorruptam antiquitatem conseruant, quod, multorum sermonis expertes, ea tenent semper quae prima didicerunt ».
  2. Cf. 414 c (τραγῳδεῖν).
  3. L’Etymologicum magnum, s. v., explique l’étymologie de ζυγός par δυαγός.