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CRATYLE

(l’agréable) tire cette appellation de ce qu’il se glisse (herpsis) à travers l’âme, assimilé à un souffle (pnoê) ; il serait à bon droit nommé herpnoun, mais avec le temps il a été déformé en terpnon. Euphrosunê (gaîté) se passe d’explication : tout le monde voit qu’elle a reçu son nom du mouvement de l’âme bien accordé (eu sumphéresthaï) à celui des choses. Ce nom serait euphérosuné en bonne justice ; pourtant nous l’appelons euphrosunê. Épithumia (passion) non plus n’est pas difficile : la force qui tend vers le principe irascible (épi ton thumon ïousa) lui a évidemment valu ce nom. e Thumos (principe irascible) doit tirer son nom de l’impétuosité (thusis) et du bouillonnement de l’âme[1]. Voici d’autre part himéros (désir) : il a dû son nom au courant qui entraîne le plus puissamment l’âme ; comme il coule avec impétuosité (hiéménos rhéï) et à la poursuite (éphiéménos) 420 des choses, et qu’ainsi il attire fortement l’âme par l’impétuosité de son cours, c’est en vertu de toute cette puissance qu’il a été appelé himéros. Passons maintenant à pothos (regret) : son nom indique qu’il n’appartient pas au [désir et courant] présent, mais à ce qui est quelque part (pou[2]) ailleurs et absent, d’où la dénomination de pothos donnée à ce qu’on appelait himéros quand son objet était présent ; lui disparu, ce même sentiment a été nommé pothos. Quant à érôs (amour), c’est parce qu’il coule en l’âme du dehors, et que ce courant, au lieu d’appartenir en propre à celui qui l’éprouve, b s’introduit de l’extérieur par les yeux[3], qu’il était anciennement appelé esros, de esrhéïn (couler dans), car nous employions o[4] à la place de ô ; aujourd’hui on l’appelle érôs par changement de o en ô. Mais que te reste-t-il à proposer à notre examen ?

Hermogène. — L’opinion et les noms de ce genre, que t’en semble ?

Socrate. — Doxa (opinion) a dû son nom soit à la pour-

  1. Cf. Timée, 70 b sq.
  2. Ou plutôt ποθί.
  3. Comp. Phèdre, 251 b, où Socrate décrit l’effet produit par la vue d’un beau visage ou d’un beau corps sur « celui qui a été initié depuis peu, ou qui a beaucoup contemplé » dans le ciel : « Quand il a reçu par les yeux les effluves de la beauté (τοῦ κάλλους τὴν ἀπορροήν), il s’échauffe, etc. » Cf. Euripide, Hippolyte, 525-6 : « Éros, qui par les yeux distilles le désir… »
  4. Le texte dit : nous employions οὖ. (Voir 416 b, 411 e, note). Sur cet usage de l’ancien alphabet attique, cf. 410 c et note.