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CRATYLE

Cratyle. — Comment cela ?

Socrate. — Celui qui le premier a établi les noms se réglait évidemment, pour établir les noms, sur l’idée qu’il se faisait des choses. C’est notre avis, n’est-ce pas ?

Cratyle. — Oui.

Socrate. — S’il ne s’en faisait pas une idée juste, et qu’il ait établi les noms sur cette idée, que nous arrivera-t-il selon toi, en le prenant pour guide ? Ne nous tromperons-nous pas ?

Cratyle. — Mais peut-être n’en est-il pas ainsi, Socrate, et l’auteur des noms les établissait-il c nécessairement en connaissance de cause ; sans quoi, comme je l’ai dit depuis longtemps[1], il n’y aurait même pas de noms. La meilleure preuve, sache-le, que leur auteur a bien rencontré la vérité, c’est qu’il n’eût jamais réalisé un accord si complet. Toi-même, ne remarquais-tu pas, tout en parlant, l’analogie et la tendance commune de tous les noms[2] ?

Socrate. — Mais, mon bon Cratyle, cela n’est point un argument. Suppose que l’auteur se soit trompé au début, et qu’il ait de force ramené la suite à ce point de départ, d pour l’obliger à être d’accord avec lui-même ; il ne serait point extraordinaire qu’il en fût ici comme dans les figures géométriques, où, la première étant parfois devenue une cause d’erreur par sa petitesse et son manque de netteté, on voit à sa suite toute la foule des autres s’accorder entre elles. C’est donc sur le point de départ qu’en toute chose tout le monde doit faire porter la plus grande partie de sa réflexion et de son étude, pour chercher s’il a été posé correctement ou non ; et c’est quand il a été bien éprouvé qu’on doit en voir découler le reste. D’ailleurs, je serais surpris que les noms fussent d’accord e entre eux. Reprenons en effet l’examen de ceux que nous avons déjà passés en revue. C’est, disons-nous,

    εἰδότας, 438 b), qui mène à la connaissance. Une opposition analogue se relève dans le Phédon, 85 c : ἢ μαθεῖν… ἢ εὑρεῖν.

  1. Cratyle revient obstinément à son affirmation, pourtant réfutée par Socrate, que tous les noms dignes de cette appellation sont justes.
  2. Socrate avait en effet déclaré (411 c), en commençant l’examen des notions morales, que l’attribution des noms aux choses s’est essentiellement réglée sur l’idée qu’elles sont en proie au mouvement. En ce sens, les noms témoignaient tous de la même tendance, et Socrate l’a fait observer plusieurs fois.