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CRATYLE

masculin. Horn croit découvrir aussitôt après une « absurdité » du même genre, aggravée d’une pétition de principe : « Ayant besoin du ο, dit Socrate, pour désigner la rondeur (τὸ γογγύλον), c’est cette lettre qu’il a fait dominer dans le mélange dont il voulait former le nom. » Mais il faut forcer le sens de δεόμενος pour trouver la pétition de principe ; et, ici encore, est-il certain que Socrate parle de la forme de la lettre ? N’attribue-t-il pas la rondeur à l’ο parce que les lèvres s’arrondissent pour le former[1] ? Tout au plus peut-on accorder que Platon a relevé d’un grain de plaisanterie des considérations auxquelles il n’attribuait lui-même qu’une portée incertaine.

On reconnaît généralement que cette étude sur la valeur des sons isolés contient quelques vues géniales, par où le Cratyle annonce et devance de vingt siècles les recherches de Leibnitz et de Jacques Grimm[2]. Rien n’indique, d’autre part, comme l’ont soutenu Horn[3] et Kiock[4], que Platon ait voulu montrer la disproportion qui existe entre les conditions idéales et l’état réel du langage, en faisant ressortir le caractère défectueux des moyens dont dispose la parole humaine. Du moins cette idée n’apparaît-elle point en cet endroit du dialogue. Socrate termine son exposé par ces simples mots : « Voilà en quoi me semble consister la justesse des noms. »

Mais il reste incontestable que la partie relative à l’étude des sons ne peut être mise sur le même plan que l’exposé de la méthode. L’hésitation de Socrate, l’aveu de son impuissance, le jugement sévère qu’il porte sur les considérations qui vont suivre, le caractère incomplet, fragmentaire, de son étude en sont la preuve manifeste. Platon a tracé le plan et fixé les conditions de la recherche, mais il n’a pas voulu se charger de la poursuivre jusqu’au bout. Il s’est borné à une ébauche, en indiquant par quelques exemples les résultats auxquels pourrait conduire la première étape de l’enquête. Selon le

  1. Molière, Le Bourgeois gentilhomme, II, 4 : « L’ouverture de la bouche fait justement comme un petit rond qui représente un O. » Voir Schäublin, o. l., p. 95, note.
  2. Th. Gomperz, Les Penseurs de la Grèce (trad. Rey), II, p. 588 ; cf. P. E. Rosenstock, Platos Kratylos und die Sprachphilosophie der Neuzeit, Progr. Ostern, 1893, p. 6 et suiv.
  3. O. l., p. 46 et suiv.
  4. O. l., p. 38, 39.