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CRATYLE

d’Héraclite — deux thèses inconciliables — a souvent été considéré comme un hors d’œuvre par les commentateurs modernes : depuis longtemps les étymologies « héraclitéennes » ont été enveloppées par Socrate dans la condamnation qui frappe toute la partie étymologique, et le débat linguistique ouvert dans la Cratyle a déjà reçu sa conclusion.

Mais les remarques présentées plus haut permettent de mesurer la portée véritable de cette dernière partie, et d’apercevoir le lien profond qui l’unit à l’objet essentiel de l’ouvrage. On voit ici reparaître au grand jour la doctrine que Platon esquissait au début, en opposition avec les théories de Protagoras et d’Euthydème. Les choses, disait-il alors, ont leur nature propre, leur essence définie et stable, et leur forme (εἶδος) ; cette forme est but de connaissance et règle d’action, et c’est le dialecticien qui juge de l’appropriation des actes à cet εἶδος. Cette doctrine fondamentale a pu être perdue de vue à travers les longues discussions sur les étymologies, les noms primitifs, les éléments, etc. : à la fin du dialogue elle surgit de nouveau, avec une netteté et une force singulières, attestant que le problème du langage est jusqu’au bout resté pour Platon un simple aspect du problème de la connaissance[1].

Après avoir donné un grand nombre de mots pour des expressions du mouvement, Socrate, on l’a vu, a repris certains d’entre eux (ἐπιστήμη, βέβαιος, ἱστορία, πιστός, μνήμη) pour montrer qu’ils marquent plutôt le repos. Il se fondait ici sur la doctrine des Éléates. Notons qu’à la fin du dialogue il ne dit rien de la théorie éléatique, dont il ajournera encore la discussion dans le Théétète : c’est seulement dans le Sophiste qu’il se prononcera nettement contre la conception de Parménide. Toutefois Socrate déclare dans le Cratyle que l’enquête sur le mobilisme a besoin d’être reprise et poussée à fond. C’est ce que fera le Théétète (179 c-184 b) en réfutant la thèse de la mobilité. Le Sophiste fixera la position de Platon entre Héraclite et Parménide : contre le premier, l’auteur du Cratyle établira que le repos ou l’immutabilité est condition nécessaire de l’Intellect, mais en montrant,

  1. Je me borne à résumer ici les précieuses indications qu’a bien voulu me communiquer M. Diès.