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CRATYLE

demi dans la plaisanterie, avec une admiration légèrement railleuse qui fait écho à l’ironie de Socrate. Il est frappé du ton inspiré que prend son maître, comme s’il débitait des oracles, et dans la confiance que lui donne, assure-t-il, l’inspiration d’Euthyphron on discerne une pointe de badinage. De même dans son éloge de l’étymologie de Téthys, qui est « jolie » (κομψόν, 402 d), et dans les compliments qu’il fait à Socrate sur ses progrès (410 e). Bref, Hermogène nous présente comme une moyenne des auditeurs habituels de Socrate, avec ce mélange de curiosité naïve et de finesse naturelle que l’on rencontre si souvent, chez Platon et Xénophon, dans les jeunes disciples du maître, déconcertés par la subtilité retorse de sa dialectique, mais sensibles à l’attrait de son ironie.

Il n’y a aucune raison[1] de ne pas identifier Cratyle avec le philosophe du même nom dont parlent Aristote et Diogène de Laërte. L’un et l’autre le donnent comme ayant été le maître de Platon, avant Socrate selon le premier[2], après la mort de Socrate suivant le second[3]. Disciple d’Héraclite, il renchérissait encore sur la doctrine du maître, au point de dire qu’on ne peut entrer, même une fois, dans l’eau du même fleuve, et de rendre sa pensée par un mouvement du doigt, pour éviter la parole qui l’eût fixée. L’indication de Diogène est en partie erronée, et il faut admettre que Platon a suivi les leçons de Cratyle avant d’entendre Socrate. Il est permis d’attribuer à cet enseignement la profonde influence que le système d’Héraclite a exercée sur sa pensée[4] en le persuadant que les choses sensibles, en proie au changement perpétuel, ne sauraient être objet de connaissance[5].

Si c’est bien son ancien maître que Platon a introduit dans le Cratyle, il est intéressant de se demander quels traits il lui a prêtés. Cratyle est évidemment un adversaire d’une tout autre taille qu’Hermogène. Il n’est pas, comme lui, simplement curieux de philosophie ; c’est un philosophe, qui

  1. Stallbaum, o. l., p. 20.
  2. Métaph., Α 6 déb., et Γ 5, 1011a 7-15.
  3. III, 6.
  4. Wilamowitz, o. l., p. 90.
  5. Aristote, Métaphysique, 987 a 32 — 987 b.