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NOTICE

point encore, les avis sont très partagés. Bornons-nous à les rappeler, en indiquant les solutions les plus vraisemblables.

Hermogène n’est qu’un amateur de philosophie et un disciple, non un chef d’école. Il serait donc fort improbable que Platon eût pris la peine de critiquer si longuement sa thèse, si elle lui était personnelle. Bien que les idées qu’il lui prête soient assez superficielles, et répondent à une façon de voir qui devait être celle du vulgaire, il n’est pas impossible qu’il ait voulu combattre ici les doctrines de Démocrite sur le langage. Pour Démocrite, le langage était d’origine purement conventionnelle[1] : les premiers hommes s’étaient entendus pour assigner des noms aux choses afin de pouvoir communiquer entre eux[2].

La théorie contraire, celle de la justesse naturelle des noms, est soutenue par Cratyle, disciple d’Héraclite. Comme son maître, il croit au mouvement et à l’écoulement universels, et il s’imagine en trouver l’expression dans le langage. Dans la première partie du dialogue, Socrate, abordant les noms des Dieux, observe avec une ironie sensible qu’ils ont dû être établis par de « sublimes spéculateurs » et des discoureurs subtils qui avaient conçu avant Héraclite la théorie du mouvement, et ont formé d’après elle les noms des divinités : peut-être Hestia, en tout cas Rhéa, Kronos et Téthys. Il explique par la même croyance les dénominations données aux notions morales. Or on sait la valeur qu’il attribue ensuite à ce long développement ; on se souvient de ses sar-

    Mais ces hypothèses n’excluent point la possibilité d’une polémique contre les représentants des théories rejetées. Ces théories, Platon les avait évidemment rencontrées autour de lui ; la question est de savoir où.

  1. Proclus, in Cratylum, p. 7.
  2. Gomperz, o. l., p. 427 sq. Cependant R. Philippson, Platons Kratylos und Demokrit (Philol. Wochenschrift, 1929, p. 923 sq.) le conteste. Suivant lui, le jugement de Proclus sur Démocrite est sommaire et peu exact : si Démocrite admettait que, dans la suite des temps, les mots ont été altérés et détournés de la réalité par l’effet du hasard et de la convention, il les considérait probablement comme étant, à l’origine, des images ou copies des choses ; la façon de voir de Platon s’accorde pour l’essentiel avec cette théorie, que l’auteur du Cratyle a vraisemblablement connue.