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CRATYLE

Et quand Socrate le prie de l’inscrire lui-même parmi ses disciples, il répond avec une amusante condescendance qu’il le prendra « peut-être » pour élève (428 b[1]).

Que le portrait soit ressemblant, c’est une autre question, d’ailleurs insoluble, puisque nous ne savons presque rien du vrai Cratyle. Tout au plus peut-on dire que cette obscurité et cette affectation de silence se concilient assez bien avec les brèves indications d’Aristote. Sans aller jusqu’à croire, avec van Ijzeren, que Platon a voulu tracer une « caricature » de son ancien maître[2], on a l’impression qu’il n’avait pas gardé de lui un souvenir très favorable.

IV

CONTRE QUI EST DIRIGÉ LE CRATYLE ?

Les conclusions du dialogue, on l’a vu, sont pour la plupart négatives : on ne peut admettre avec Hermogène que la justesse des noms soit purement affaire de convention ; mais on ne saurait affirmer avec Cratyle que les noms soient justes par nature. L’enquête étymologique ne conduit qu’à des résultats contradictoires et incertains, parce qu’il n’est pas sûr que l’auteur des noms se soit fait une idée juste des choses à nommer. Bref, le problème agité en sens contraire par Hermogène et Cratyle est au fond négligeable pour la recherche de la connaissance. Contre quels individus ou quelles écoles sont dirigées ces conclusions[3] ? Sur ce

  1. Voir J. van Ijzeren, De Cratylo Heracliteo et de Platonis Cratylo (Mnemosyne, N. S. XLIX, 1921), p. 176 sq.
  2. M. Diès rapproche la peinture que fait le Théétète (179 e sq.) de l’école d’Héraclite, et se demande si Platon n’a pas voulu, dans le personnage de Cratyle, représenter un type plutôt qu’un individu.
  3. D’après Wilamowitz, o. l., p. 287, Platon a voulu seulement mettre en garde ses propres disciples contre des tendances que certains d’entre eux étaient portés à suivre, et se guérir avec eux d’illusions longtemps caressées par lui. Suivant Steinthal, Schäublin, Kirchner, après avoir cru à la possibilité d’une science étymologique, Platon a renoncé à cette croyance : le Cratyle atteste sa conversion, et l’ironie de Platon est surtout dirigée contre lui-même.