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CRATYLE

des Grecs se séparer[1] ainsi des autres Grecs, et les Grecs des Barbares.


Les choses ont une essence stable, qui ne dépend pas de nous.

Socrate. — Or çà, voyons un peu, Hermogène. Crois-tu qu’il en soit ainsi des êtres eux-mêmes, et que leur essence varie avec chaque individu ? — c’était la thèse de Protagoras, quand il déclarait que l’homme « est la mesure de toutes choses »[2], 386 voulant dire sans doute que telles les choses me paraissent, telles elles me sont, et que telles elles te paraissent, telles elles te sont — ou bien te semblent-ils par eux-mêmes avoir dans leur essence une certaine permanence ?

Hermogène. — Il m’est déjà arrivé, Socrate, de me laisser entraîner[3] dans mon embarras à la thèse de Protagoras. Et pourtant, ce n’est pas précisément[4] mon opinion.

Socrate. — Eh bien, t’es-tu déjà laissé entraîner à croire qu’il n’existe absolument pas d’homme b méchant ?

Hermogène. — Non, par Zeus ! J’en ai fait assez souvent l’épreuve pour croire qu’il y a des hommes tout à fait méchants, et en très grand nombre.

Socrate. — Et des hommes tout à fait bons, n’as-tu pas encore cru qu’il en existe ?

Hermogène. — Fort peu.

Socrate. — Mais enfin tu l’as cru ?

Hermogène. — Oui.

Socrate. — Quelle est donc ton opinion là-dessus ? Ne penses-tu pas que les hommes tout à fait bons sont tout à fait raisonnables, et les hommes tout à fait méchants tout à fait déraisonnables ?

Hermogène. — C’est mon c avis.

Socrate. — Se peut-il donc, si Protagoras disait vrai et si la vérité est que les choses sont ce qu’elles paraissent à

  1. Παρὰ : à côté de, par suite : en dehors de, à la différence de.
  2. Cette formule fameuse de Protagoras est de nouveau examinée dans le Théétète, qui reproduit presque littéralement (152 a) ces lignes du Cratyle. Mais Platon l’y soumet à une réfutation plus détaillée et décisive (178 b sq.). Voir la Notice, p. 47.
  3. Ἐνταῦθα est expliqué par εἰς ἅπερ — λέγει.
  4. Οὐ πάνυ est souvent une litote exprimant une négation énergique ; voir plus loin (391 c) ὅλως οὐκ.