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INTRODUCTION

cite la sympathie, le mimétisme inné de notre sensibilité. Il a condamné, aux Livres II et III, à la fois les erreurs religieuses et morales que contiennent ou engendrent ses fictions les plus fameuses, et sa curiosité indiscrète et versatile, qui, prétendant tout imiter, sans règle et sans choix, est grosse d’émotions et de suggestions funestes. Mais n’est-ce pas lorsqu’il a établi la distinction et la hiérarchie des facultés de l’âme (Livre IV) qu’il peut le mieux montrer sur quel bouleversement de cette hiérarchie se fonde un tel art d’illusionnisme et d’impressionnisme, et n’est-ce pas après avoir tracé le programme de l’éducation par la science et dressé le tableau des degrés de l’être et du connaître (Livres VI et VII) qu’il mesurera le mieux à quelle distance de toute vérité et de toute réalité en reste cette poésie, qui sait tout et enseigne tout ?

Enfin, analyste et historien de l’âme collective et individuelle, il a décrit aux Livres VIII et IX, la genèse des perversions progressives de la cité et du citoyen. Or, les étapes de cette progression dans le mal, depuis la timocratie jusqu’à la tyrannie, correspondent aux empiétements successifs des classes inférieures de la société et des facultés inférieures de l’âme sur les classes et les facultés supérieures. La poésie, dont le charlatanisme funeste est fondé sur les mauvais instincts qu’elle flatte et surexcite dans ces facultés inférieures, n’est-elle pas un des facteurs les plus naturels de cette déchéance sociale ? Platon nous l’affirma lui-même au Livre VIII : les poètes, tragiques et autres, sont en fait les courtisans et les flatteurs empressés des deux tyrannies les plus voisines, celle de la foule et celle du despote (568 b). Dans le Gorgias, il nous avait dit que la tragédie est une rhétorique à l’usage des foules, une rhétorique-flatterie qui vise avant tout le plaisir (502 a/b), mais il nous avait aussi montré (484 b, 488 b) les prétentions de la violence et du despotisme s’appuyant, avec Calliclès, sur une parole de Pindare que les Lois (714 c/e) prendront encore la peine de combattre. Que les grands tragiques d’Athènes aient été plus naturellement les courtisans de la démocratie que ceux de la tyrannie ; que, d’autre part, les poètes aient afflué à la cour des tyrans, qui usaient volontiers de ces agents de réclame et de propagande, ce sont là des faits certains. Platon peut être injuste envers les tragiques lorsqu’il s’autorise de la vérité avec laquelle ils traduisent les sentiments et les idées de